mardi 29 avril 2008

Home sapiens

Parmi les annonceurs dont la communication fait florès, Ikea fait mieux que sauver les meubles. L’enseigne scandinave est réputée pour surprendre : le métro londonien est une occasion de le vérifier à nouveau. De fait, quel meilleur endroit pour faire la promotion de la stabilité, de l’intimité et du confort qu’un symbole de mouvement, de froideur et de relatif inconfort ? Point question ici d’affichage publicitaire mais d’un étui pour cartes de transport magnétiques aux couleurs – fort impactantes, évidemment – de l’enseigne, d’apparence triviale et arborant un « Home is The Most Important Place in the World » (La maison est l’endroit le plus important sur Terre). La force est, comme toujours, dans le concept : coller à l’individu dans ses moindres déplacements. Dans ce contexte, sortir sa carte et apposer son pass sur une borne électronique relève d’un réflexe reptilien : l’ancrage de la marque et de l’insight n’en est que plus profond.

Sur le fond, le message revêt une audace certaine à l’heure où les vicissitudes du monde nous imposent de garder plus que jamais l’œil rivé sur la planète. Ikea ne s’embarrasse pas de compassions plus ou moins feintes et réaffirme la prééminence de l’individu sur la collectivité, du privatif sur le collectif. Alors même que l’ouverture aux autres est érigée en impératif catégorique jusque dans la conception des habitations – le fameux concept de hiving, opposé au cocooning réflexif et introverti – la firme suédoise revendique puissamment une sanctuarisation de l’espace domestique. Dans sa vision nouvelle, « les maisons ne sont pas faites simplement de mortier, de briques et de murs. Une maison, c’est de l’émotion – un sentiment de sécurité, de quiétude, de confort, le fait de pouvoir être bien, de pouvoir être soi et entouré de ses proches » L’émotion, nous y revoilà. Le moyen et la fin. Le moyen de transport, le moyen de communication, la liturgie individuelle, le lien au produit, le lien entre les consommateurs. Une jolie ritournelle nordique où l’home sapiens, loin des frimas du marketing push/pull, se chauffe aux vibrations de la marque affective et aspirationnelle.

samedi 19 avril 2008

Tout un programme

Mois d’un an après le lancement de ses premiers ordinateurs portables aux coques ultra colorées, Dell lance ces derniers jours une campagne pour promouvoir ses nouveaux PC Inspiron flashy, qui vert pomme, qui jaune citron, qui rouge cerise… En apparence, l’aura renouvelée des Seventies et la vitalité actuelle du courant pop – notamment dans le design– relativisent la puissance de la démarche. Toutefois, le patron du géant américain le confesse lui-même, l’essentiel est ailleurs : l’objectif est de créer davantage de lien avec le client. La bataille du service engagée depuis la fin des années 90, dans une myriade de domaines et plus encore dans l’informatique, a fait des dégâts entre les titans du secteur, de même que celle, menée en parallèle, de la personnalisation. La dernière campagne HP annonçait : « The computer is personal again » (l’ordinateur redevient personnel), mais là encore, par-delà la performance produit, la qualité de service, la customisation, l’innovation, la prime de marque s’est déportée vers le lien. Comme aimantée.

De la personnalisation univoque, on passe au contrat réciproque. Quelle relation la marque tisse-t-elle avec moi, quelle vision a-t-elle de son secteur voire du monde en général ? Jadis (si l’on considère l’accélération et la complexification phénoménales des tendances consuméristes), la consommation était intégratrice, il s’agissait de faire comme tout le monde. Aujourd’hui, la consommation est revendicative, il s’agit de s’affirmer. Auparavant la consommation était vitale, désormais elle est existentielle. En enduisant ses machines d’un vernis acidulé, Dell s’attache à reconquérir le champ du relationnel préempté par Apple. Qui sera la plus proche de moi ? Qui saura aller au-delà de l’offre et du service pour me proposer du lien, de la chaleur et des valeurs auxquelles je daigne adhérer ? Tout un programme. Vous avez dit politisation de la consommation ?

vendredi 18 avril 2008

Green is beautiful

Vertiges de l’éthique. Elle a déferlé naguère sur la politique, elle contamine désormais le marketing et la consommation. De l’énergie à l’automobile, des produits blancs aux ampoules des équipementiers de la maison, des micro-bidons aux tablettes des lessiviers, le « Green Power » s’affiche et s’affirme désormais partout sur nos écrans. Si l’on comprend la nécessité du passage sous les fourches caudines du développement durable, on peut s’interroger sur ce qui reste de la plus-value de marque et sur l’utilisation faite de l’argument écologique. Car est-ce un argument ?

L’interrogation est brutale et pourtant : pour incontournable qu’il soit, l’imp
ératif écologique peut prendre des allures de tarte à la crème dès lors qu’il est sous-exploité. Certes, dans une époque frappée au sceau de l’éthique, les marques sont sommées de remplir leur part de contrat en termes de vision : le consommateur n’attend plus la marque sur le seul terrain des bénéfices – concrets ou abstraits – mais sur sa vision, son engagement. Las, nombre d’entreprises semblent témoigner d’une capacité de réaction davantage que d’action en la matière, en donnant le sentiment de s’adapter à des contraintes plus que de les avoir anticipées. Dans ces conditions, voir les marques (ré)affirmer tour à tour leur engagement écologique laisse perplexe : se prévaloir d’une éthique dans un élan récent autant que grégaire, on a vu plus audacieux et, pour le coup, plus responsable. La grande distribution, Carrefour en tête, n’a d’ailleurs pas tardé pour promouvoir ses propres produits verts, à prix distributeur cela s’entend, relativisant encore la plus-value verte mise en avant par les industriels.

De fait, la question de la prime de marque se pose en regard de l’innovation : jusqu’où pousser l’intégration du facteur vert ? A moyen terme, on imagine en effet que les produits non verts seront ultra minoritaires : être éco friendly ou éco responsable ne peut donc guère constituer matière à différenciation. Forts de ce constat, Toyota et sa Prius ont renversé l’axiome en faisant du primat écologique non pas une contrainte mais un catalyseur, non pas une donnée supplémentaire mais une nouvelle base stratégique, une plateforme d’innovation. Précisément, n’est-ce pas la responsabilité d’une (grande) marque de concevoir un développement non seulement durable mais à valeur ajoutée ? Pour l’homo consumerus, la marque n’est plus un simple repère depuis longtemps, elle doit être une ambition. La différenciation par la vision, voilà un défi écologique mais aussi économique et, au fond, véritablement éthique.

vendredi 11 avril 2008

Mai 68 2.0

Les institutions ébranlées, remises en question, la rigidité mise à mal, l’autorité renversée, la verticalité bousculée : les ondes médiatiques frémissent au souvenir de mai 68. Qu’en reste-il aujourd’hui ? Telle est l’interrogation phare qui sous-tend les commémorations du quarantième anniversaire d’un mouvement – faut-il le rappeler – au moins autant économique et social qu’étudiant et de portée sociétale. On parle donc héritage. De sa réalité et de sa profondeur. Interrogation étrangement réductrice : doit-on parler bilan… ou succession, voire revitalisation ? Ce tsunami printanier relève-t-il d’évocations surannées ou, au contraire, d’une modernité aigue ? Le romantisme – et donc la mise à distance – qui nimbe cette période témoigne d’une prévention, d’une frilosité voire d’une négation du réel étonnantes.

L’institution, l’autorité, l’expertise, la hiérarchie, autant de concepts qui, à l’ère du Web 2.0, subissent en effet un coup d’état permanent : à travers le développement de la médiation, de l’horizontalité et le couronnement de l’individu roi, n’assiste-t-on pas à une mise à jour en bonne et due forme du logiciel mai 68 ? Les toges professorales clouées au pilori il y a quarante ans, ne sont-elles pas à nouveau foulées symboliquement par les avis de note2be.com et par les parents remettant en cause la légitimité autoritaire et magistrale ? La RTT est-elle autre chose qu’un élargissement du temps individuel et une conquête supplémentaire de liberté présumée ?

De même, l’interdiction d’interdire n’est-elle pas chevillée au corps de l’individu post moderne qui, par essence, se veut unique et dont le point de vue vaut, censément, autant qu’un autre ? Chacun revendique ses potentialités, quiconque les nierait s’exposant à la vindicte. TF1 a baptisé sa plateforme de partage multimédia WAT – We are talented. A l’heure de l’ego casting, des gratuits, de wikipedia et de ses innombrables émules, les contenus médiatiques convergent dans la volonté individuelle. Le pavé, délaissé par la plage, redevient un motif à la mode : on est plus que jamais dans la… co-construction et la co-production. L’époque célèbre le « à la carte », le one-to-one, le Consumer to Consumer : le marketing est lui-même inféodé au mouvement. En somme, Narcisse comme matrice et comme mythe structurant a encore de beaux jours devant lui. 69, année érotique ; 09, année égotique ?

mardi 8 avril 2008

L'individu surexposé

Les lumières d’Art Paris 08 se sont tues. A mesure que les marchés émergent et que l’individu se déploie aux antipodes (ou à mi-chemin), la connaissance des cultures et les éventuelles convergences avec l’Occident (les Occidents ?) se font jour grâce à l’Art : ainsi la Chine, en force, les pays arabes, également à l’honneur, mais aussi les Etats d’Europe de l’Est donnent à voir leurs préoccupations sociétales, sociales et existentielles. Et si l’on est perplexe face à la relative immaturité de certains thèmes dominants (englués dans le post-maoïsme ou le spectre de la culture américaine fatale et omnipotente), la thématique individuelle demeure un fil rouge opérant. Vue par le prisme de ces régions neuves (à nos yeux), elle acquiert même une fraîcheur inédite. Ainsi l’on peut, en un bref aller-retour subjectif, balayer trois propositions : de la France à la Chine en passant par la Roumanie, trois visions de l’individu nous ont été proposées.

La Française Clarisse Doussot colle au plus près : des UV au rayonnement de néon commercial, agressif même sur une toile sans relief, notre propre rétine qui grésille. Un zoom sur une aire de peau, à la fois clinique et sensuel. D’ailleurs l’œil hésite – faut-il admirer les courbes ou déceler les prémisses d’un mélanome ? Transpercer ou caresser ? Est-ce une image de plaisir ou de souffrance ? Un comportement salubre – l’apparence raisonnée – ou déviant – la beauté érigée en culte ? Une beauté en souffrance et la souffrance en beauté.

L’Orient, lui, se place à distance : deux interrogations, deux efforts de distanciation – physique, esthétique et thématique : avec le Roumain Serban Savu, héritier d'Edward Hopper, dont la mélancolie frappe et contraste avec la béatitude des critiques consuméristes, qui dépeint le prosaïque, l’isolement. Autour de la frêle et étrange beauté des figur(in)es de Wing Danwen, c'est la matière urbaine qui envahit les visuels comme une jungle. Les décors semblent faits de carton pâte, les silhouettes réelles posées dessus. Qui bénéficie de la prééminence, du surcroît de réalité : l’urbain ou l’humain ? Quelle influence de l’urbain hyper moderne sur le réel et sur les relations ?
En matière de questionnement individuel et individualiste, l’art peut être nécessaire, voire vital. Il est ironique que des pays marqués au fer rouge (dans toutes les acceptions du terme), nous le rappellent avec tant de recul et d'à-propos.

mardi 1 avril 2008

Terminus : la marque

La RATP sait cultiver son réseau. Et s’attache à le montrer par le biais d’une campagne TV fraîche émoulue. La régie a pour ambition de faire coup double : dynamiser voire dépoussiérer son image et bâtir une identité de marque, en ligne avec son expansion à l’international, histoire de réduire le fossé entre certaines perceptions et une réalité économique flatteuse.

Sur la forme, force et poésie s’imposent : on est dans un registre corporate que ne renierait pas une entreprise de media et de communication. A l’« Open » tant de fois martelé répond un « Aimez la ville ». Sauf que, précisément, le film de la RATP nous donne à voir un individu isolé, non plus souverain mais décontenancé, dépassé par un environnement urbain trop réel, trop multiple, trop sensitif. Un réalisme salubre par rapport à la maîtrise voire la soumission des espaces modernes, vantée de manière quasi systématique dans les publicités pour l’automobile, le sport, la mode, la communication. Une modernité qui rompt aussi avec l’angélisme du vivre ensemble, comme orthodoxie et comme injonction paradoxale. (On garde en mémoire la scène surréaliste, chez Orange, de cette foule de silhouettes cravatées, prise d’un accès de philanthropie fugace, hurlant de concert pour faire cesser le hoquet d’un pauvre quidam).

« Profitez du plus grand réseau réel », nous enjoint le spot. Sur le fond, un message centré sur les rapports de l’individu au motif du réseau constitue un positionnement de marque on ne peut plus actuel. La promesse, féconde, demeure toutefois à double tranchant, le réseau virtuel étant – au moins en théorie – à l’opposé du réseau de transports en termes de rapidité, de fluidité, de souplesse – on effleure même l’anti-modèle ! On regrettera surtout le caractère vague de cette promesse de jouissance (transposé dans le dédale d’une grande surface, ce pourrait être un hymne à « La vie, la vraie », prônée naguère par un grand distributeur). A propos de réalité, reste à savoir si l’un des symboles du collectif et de la rigidité parviendra à se muer rapidement en allégorie de l’efficacité individuelle. Ou comment opérer la transition entre une offre (ou un produit) et un service. La construction d’une marque forte est à ce prix.