mercredi 25 juin 2008

L'Empire des sens

C’est acquis, on n’évoque jamais les trains arrivant à l’heure. La ponctualité ferroviaire est pourtant pleine d’à-propos, surtout lorsqu’elle contamine le champ créatif : à cet égard, la nouvelle campagne de la SNCF pour TGV – qui confronte l’expérience sensitive du virtuel à celle, sensible, du monde réel – se révèle ambitieuse. Avec en point d’orgue, une signature dont la dimension paradoxale colle parfaitement au paradoxe consumériste : « Plus de vie dans votre vie ». A la croisée parfaite du « vivre plus » (Nouvelles Frontières) et de « la vie, la vraie » (anciennement Auchan). Le mot d’ordre : plus de vitalité, bien sûr, mais aussi plus de véracité. L’authenticité et l’intensité se trouvent intimement corrélées, mieux : l’intensité EST l’authenticité. Hume ou Heidegger occupent sans doute une part réduite dans les bréviaires des planners publicitaires, on flirte pourtant avec une philosophie empirique de la consommation. Et la campagne de suggérer : « Et si vivre en vrai était la plus belle des expériences ? ». Pour vivre mieux, il faut vivre, pour vivre, il faut vivre plus. Entre truisme et aporie, la tyrannie du bonheur trouve une déclinaison nouvelle dans l’aspiration expérientielle. De l’industrie, la SNCF est passée au service, elle bascule désormais – au moins dans la communication – dans l’expérience. Accélération et raccourci fulgurants eu égard à l’historique de l’entreprise. En bonne marque média, elle propose du flux et du contenu. De service transitoire (rallier un lieu) elle verse dans l’expérience transcendante, obnubilée par le moyen elle se recentre sur la fin. Même dans le consumer insight, la SNCF prend le temps d’aller vite.

mercredi 11 juin 2008

Ecran total

60 millions de directeurs de chaînes. Vouer aux gémonies le contenu des programmes TV est un sport national. Cohérence cynique ou hasard piquant, ce sont les fournisseurs de contenants qui entament une marche accélérée vers la platitude absolue, via les téléviseurs plasma, LCD et désormais OLED. Platitude physique paradoxale car jamais les fabricants n’ont souhaité donner autant de relief à leurs produits : voir est dépassé, il faut vivre. La grammaire du marketing se veut totalitaire, tous les verbes étant passés à la moulinette de l’expérience. Dans les produits bruns, l’innovation a toujours été centrée sur l’optimisation de l’expérience mais dans un processus partiel, sérié : tel fabricant vantant une image plus pure, qui un son plus net, qui des couleurs plus franches, plus contrastées, plus variées. L’efficacité technique prévalait par rapport à l’expérience holistique. Seul le Home Cinéma proposait une véritable expérience, précisément de par sa nature multiproduits. Désormais ce soucis expérientiel est décliné au sens absolu, dans une recherche synesthésique. Le bénéfice unique tombe progressivement en désuétude. C’est encore et toujours une expérience que l’on promet au consommateur. Au point que, comble du raffinement à l'image de la dernière gamme de téléviseurs Philips, le focus soit mis moins sur l’écran que sur… le cadre, ici luminescent et protéiforme. Le primat du contexte : ce dernier précède et préempte le texte, le hors champ avale le champ. La marge est le nouvel eldorado. On soupçonnait que le produit était dépassé, il l’est désormais dans toutes les acceptions du terme.