dimanche 17 mai 2009

Voie sans issue

« Bien dans son époque, bien dans sa Twingo ». Tel est le mot d'ordre dicté par Renault dans sa dernière campagne. Alors que la Twingo originelle proposait avec malice d' "inventer la vie qui va avec", ménageant l'horizon des possibles, des perspectives nettement plus circonscrites nous sont offertes ici : un quinquagénaire grimé en travesti et une jeune diplômée en meneuse de revue, tous deux décontenancés puis rassérénés par l'ouverture d'esprit de leurs proches mettant soudainement au jour la vérité les concernant.
Le présent blog a déjà fait allusion aux limites et, pour tout dire, au caractère désormais erroné de certains motifs licencieux en publicité. La faute à un contexte qui tend à rendre le procédé non pertinent et totalement inopérant. Comment décrypter la campagne en question ? Vous assumez une identité sexuelle fluctuante, ou vous considérez le spectacle de nus comme un bon premier job, vous êtes donc bien dans votre époque ? Bien dans son époque au sens donc cynique, rapport avec une ère de malaise, d’indécision identitaire, de crise des valeurs, de crise tout court ?
Sans même évoquer une enième fois la conjoncture désastreuse au niveau économique, il apparaît que Renault joue un jeu dangereux. Et, en écho à la campagne Laguna déjà évoquée ici même, jongle avec les poncifs sans le moindre recul et au final, donne un sentiment tragique : celui de ne pas laisser de railler ses clients et ses prospects. Car si considérer que la multiplication des transgenres au sein des familles constitue l'un des traits saillants de l'époque voire pire, si être bien dans son époque c'est, non pas seulement comprendre mais se réjouir de ce qu'un proche puisse être travesti ou travailleuse dans un peep show, alors c'est faire preuve d'une capacité d'analyse et d'une lucidité troubles, pour le moins.
Seul un brin de cohérence subsiste dans ce fratras communicationnel à la lisière de la démagogie : de fait, la campagne Twingo est à l’image du nouveau modèle qu’il est censé servir : peinant à créer un impact et à se différencier. Tout le contraire de la première Twingo, qui innovait alors, tant sur le plan du design que du concept de véhicule (précurseur des mini monospaces) et, au-delà, sur le rapport à l’automobile. (En toute objectivité, qu'est-ce qui différencie une Twingo d'une Modus ou d'une Clio aujourd'hui?). Si l’on était cruel, on avancerait qu’un produit médiocre (non pas au plan technique mais sur sa valeur ajoutée, sa promesse, sa raison d'être) a la communication qu’il mérite. Et si Renaut Twingo était en total déphasage avec son époque ?

samedi 9 mai 2009

De l'eau dans le gaz

En période de tempérance consumériste, une relative folie des grandeurs peut-elle être salubre ? A cette question Perrier semble avoir répondu « non ». Rien à redire, si ladite folie n’était inscrite dans les gênes de la marque. Comme l’a rappelé fort à propos l’exposition "40 ans de pub télé" aux Arts Décoratifs à Paris, Perrier s’est toujours distingué par des publicités spectaculaires, poétiques, oniriques, fantasmagoriques, en somme – osera-t-on – décalées (au sens positif du terme, tant le qualificatif essaime dans les critiques artistiques avec une vacuité confondante : un « acteur décalé », un « humour décalé »… Par rapport à qui, à quoi? Le décalage comme poétique du vide.)
Des soldats de plomb montant une opération frigidaire à la galaxie se trémoussant sur les syncopes de James Brown, en passant par le match surréaliste de John McEnroe dans un décor d’apocalypse, la fraîcheur a toujours été placée à la fois au centre et à la marge des communications Perrier. Le décalage du ton et du traitement primaient, avec pour dessein systématique d’impacter les mémoires et, par dessus tout, de véhiculer une atmosphère, une magie, des valeurs et au final un statut : on ne consomme pas de l’eau gazéifiée, on sirote un éther… Perrier c’était jusqu’alors un esprit et un état d’esprit.
Or, dans la
campagne Perrier à la TV fraîchement née, point de cela : une femme urbaine, assaillie par une soif et un décor en déliquescence, se précipite chez elle et, butant mollement sur des objets guimauves, atterrit dans une piscine. La pub est centrée sur un bénéfice on ne peut plus clair : rafraîchir efficacement. Cette torpeur où les objets fondent se révèle d’une froideur glaçante, et le Graal de se faire soudainement prosaïque : pour l’une des premières fois dans l’histoire de la marque, il est possible de remplacer dans le spot concerné la bouteille ventripotente par une canette de soda X, de thé glacé Y voire par une box de chewing-gums mentholés Z. De fait, Nestea n’avait pas fait autre chose il y a 3 ans, dans une publicité percluse d’effets spéciaux, en figurant une jeune femme arpentant la ville dont le visage perlant de sueur était brusquement revivifié et asséché par une gorgée du précieux thé glacé… Louable pour une boisson plate (dans tous les sens du terme), suffisant pour Perrier ?
La déclinaison en affichage de cette campagne molle [cf. supra] est davantage pertinente, pourra-t-on objecter, tant la dimension plastique surréaliste se charge en signification. Le soucis est, une fois encore, que l’identité et donc la différenciation Perrier a toujours passé en priorité par les spots TV. En 2009, une large partie de la valeur statutaire et de la magie de la marque semblent s’être évanouies dans les prémisses des vapeurs estivales. Oublier la valeur de marque au profit du seul bénéfice de base : étonnante posture dans un contexte de concurrence ravivée sur les boissons désaltérantes. Le choix d’un Perrier va devenir très aléatoire. Et le constat de s’imposer : Perrier, ça n'est plus fou ! Pure folie…