C’est acquis, on n’évoque jamais les trains arrivant à l’heure. La ponctualité ferroviaire est pourtant pleine d’à-propos, surtout lorsqu’elle contamine le champ créatif : à cet égard, la nouvelle campagne de la SNCF pour TGV – qui confronte l’expérience sensitive du virtuel à celle, sensible, du monde réel – se révèle ambitieuse. Avec en point d’orgue, une signature dont la dimension paradoxale colle parfaitement au paradoxe consumériste : « Plus de vie dans votre vie ». A la croisée parfaite du « vivre plus » (Nouvelles Frontières) et de « la vie, la vraie » (anciennement Auchan). Le mot d’ordre : plus de vitalité, bien sûr, mais aussi plus de véracité. L’authenticité et l’intensité se trouvent intimement corrélées, mieux : l’intensité EST l’authenticité. Hume ou Heidegger occupent sans doute une part réduite dans les bréviaires des planners publicitaires, on flirte pourtant avec une philosophie empirique de la consommation. Et la campagne de suggérer : « Et si vivre en vrai était la plus belle des expériences ? ». Pour vivre mieux, il faut vivre, pour vivre, il faut vivre plus. Entre truisme et aporie, la tyrannie du bonheur trouve une déclinaison nouvelle dans l’aspiration expérientielle. De l’industrie, la SNCF est passée au service, elle bascule désormais – au moins dans la communication – dans l’expérience. Accélération et raccourci fulgurants eu égard à l’historique de l’entreprise. En bonne marque média, elle propose du flux et du contenu. De service transitoire (rallier un lieu) elle verse dans l’expérience transcendante, obnubilée par le moyen elle se recentre sur la fin. Même dans le consumer insight, la SNCF prend le temps d’aller vite.
mercredi 25 juin 2008
mercredi 11 juin 2008
Ecran total

jeudi 29 mai 2008
L'offense de l'art
C’est l’enfance de l’art. Avec Tousdesartistes.com, HP avance ses pions sur un terrain de jeu dont la dimension stratégique tient désormais de l’évidence : le partage des contenus multimédias – qu’il soit strictement ludique ou, comme ici, prétexte à un concours – constitue le nerf de la guerre communautaire qui mobilise l’énergie des marques et des médias. Ou de l’écrasante majorité des entités qui ne sont plus aujourd’hui ni l’une ni l’autre, ou tout à la fois. Ainsi le fabricant leader de l’informatique grand public flatte les egos en lustrant la fibre artistique censément ancrée en chacun de nous. L’antienne de la TV réalité est connue : tout le monde peut devenir un artiste. Tout le monde EST un artiste, surenchérit HP.
Le statut de l’art – cette manière d’expertise des dilettantes, tant l’art est la capacité à formuler les (bonnes) questions plutôt que les (mauvaises) réponses – le statut de l’art donc, est remis en cause. En amont de l’explosion des ventes d’appareils numériques et des mini-imprimantes afférentes, en écho à la fulgurance de la résolution moyenne des caméras sur mobiles, se tient l’individu et son désir de poser un regard sur le monde. Un regard nécessairement unique et dont la valeur se jauge à cette unicité même. Philippe Starck en personne le clame : « Personne n’est obligé d’être un génie mais il faut participer.»1 Avec force et, il faut le dire, une beauté certaine, le designer laisse entendre que le devoir de tout homme est d’avoir une vision. Chose aisée quand on est soi-même porté par le génie et par une capacité visionnaire effective et affective.
Las, la profusion des images personnelles, l’avènement de ce qu’il faudrait nommer un art généralisé et démocratique, masquent mal le vide qui les sous-tend. Ainsi les créations proposées sur le site (photos, vidéos, peintures, dessins), par delà leur hétéroclisme, par delà leurs qualités éventuelles, sont déconnectées d’une démarche artistique au sens pur. L’art n’est pas uniquement une question de technique mais d’idée, de concept. Entre la bonne idée, sympathique, et l’idée tout court (qu’il s’agisse d’une idée au sens philosophique, d’un message ou d’un apport stylistique), il y a un monde. On peut bien chanter et être à mille lieux du statut de chanteur. De fait, le quart d’heure de célébrité prophétisé par Andy Warhol a fait long feu. Dorénavant, l’aspiration à la reconnaissance porte non plus sur l’existence mais sur le talent. Je peux donc je suis. Avec ceci de cocasse que le dilettantisme devient l’expertise absolue. On s’improvise photographe, on s’improvise même journaliste si l’on a la chance (sic) de se trouver dans une zone touchée par une catastrophe, naturelle ou politique. L’œil encensé, le geste adoré, le témoignage sanctifié… L’individu, quel chef d’œuvre !

Las, la profusion des images personnelles, l’avènement de ce qu’il faudrait nommer un art généralisé et démocratique, masquent mal le vide qui les sous-tend. Ainsi les créations proposées sur le site (photos, vidéos, peintures, dessins), par delà leur hétéroclisme, par delà leurs qualités éventuelles, sont déconnectées d’une démarche artistique au sens pur. L’art n’est pas uniquement une question de technique mais d’idée, de concept. Entre la bonne idée, sympathique, et l’idée tout court (qu’il s’agisse d’une idée au sens philosophique, d’un message ou d’un apport stylistique), il y a un monde. On peut bien chanter et être à mille lieux du statut de chanteur. De fait, le quart d’heure de célébrité prophétisé par Andy Warhol a fait long feu. Dorénavant, l’aspiration à la reconnaissance porte non plus sur l’existence mais sur le talent. Je peux donc je suis. Avec ceci de cocasse que le dilettantisme devient l’expertise absolue. On s’improvise photographe, on s’improvise même journaliste si l’on a la chance (sic) de se trouver dans une zone touchée par une catastrophe, naturelle ou politique. L’œil encensé, le geste adoré, le témoignage sanctifié… L’individu, quel chef d’œuvre !
1 Source : IDEAT n° 6O
vendredi 16 mai 2008
Les ombres de la transparence
Une musique disco, des décors aux couleurs vives et des petits personnages aux faux airs de Playmobil animés, le tout entre une mine d’uranium, le cœur d’un réacteur et le duveteux parquet d’un appartement tous réduits à l’état de jouets. Ainsi va Areva, qui irradie depuis de nombreux mois les ondes de ses propres ondes pédagogiques et ludiques : une démarche somme toute légitime pour un acteur d’un secteur nucléaire – voire, plus largement, énergétique – nimbé de toxicité médiatique. De son côté, Intermarché décortique le temps d’une campagne aux accents cartoonesques le process de fabrication de ses produits de marque propre, via ses usines qui le sont tout autant, ou encore la fraîcheur de sa marchandise, incarnée par des pêcheurs enjoués au milieu de vagues crayonnées et animées.
Dans le mælström des informations commerciales, la pédagogie a du bon. Et la fraîcheur du ton est a priori peu nuisible. Elle interroge pourtant : faut-il verser dans l’infantilisation pour traduire une supposée transparence ? Le pédagogisme n’entraîne-t-il pas une simplification excessive ? Nous sommes dans le diktat de la clarté, le curseur est poussé toujours plus loin sur l'échelle de la transparence. On achète désormais avant tout une éthique, une confiance, une transparence. Une attitude qui contraste avec la période précédente : pendant des décennies, le marketing prospérait sur le concept de la boîte noire, via une croyance absolue et aveugle dans les process industriels. La marque était un totem et la promesse du produit relevait de la pensée magique. Désormais, face à la peur de la mystification, prévalent le sérieux de la marque, le rationnel de la démonstration et le primat de la confiance. Le marketing de la promesse puis celui de la preuve ont cédé le pas au marketing de la démonstration et de l’engagement. Les mentions et les labels ne suffisent plus, c’est tout le process qui passe au scanner du consommateur paradoxal.
Etrange mouvement, en effet, de la société de consommation qui subit concomitamment un désenchantement méthodique – les marques doivent rassurer – et un ré-enchantement forcené – les marques doivent faire rêver. Cela peut donner naissance à des communications décalées, où le ton – excessivement enjoué – tend à desservir un propos qui se veut crédible. Tout montrer, c’est ne rien montrer.
Dans le mælström des informations commerciales, la pédagogie a du bon. Et la fraîcheur du ton est a priori peu nuisible. Elle interroge pourtant : faut-il verser dans l’infantilisation pour traduire une supposée transparence ? Le pédagogisme n’entraîne-t-il pas une simplification excessive ? Nous sommes dans le diktat de la clarté, le curseur est poussé toujours plus loin sur l'échelle de la transparence. On achète désormais avant tout une éthique, une confiance, une transparence. Une attitude qui contraste avec la période précédente : pendant des décennies, le marketing prospérait sur le concept de la boîte noire, via une croyance absolue et aveugle dans les process industriels. La marque était un totem et la promesse du produit relevait de la pensée magique. Désormais, face à la peur de la mystification, prévalent le sérieux de la marque, le rationnel de la démonstration et le primat de la confiance. Le marketing de la promesse puis celui de la preuve ont cédé le pas au marketing de la démonstration et de l’engagement. Les mentions et les labels ne suffisent plus, c’est tout le process qui passe au scanner du consommateur paradoxal.
Etrange mouvement, en effet, de la société de consommation qui subit concomitamment un désenchantement méthodique – les marques doivent rassurer – et un ré-enchantement forcené – les marques doivent faire rêver. Cela peut donner naissance à des communications décalées, où le ton – excessivement enjoué – tend à desservir un propos qui se veut crédible. Tout montrer, c’est ne rien montrer.
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