mardi 29 janvier 2008

Avatars de l’avatar

Vichy Homme annonce sur Facebook son nouveau soin hydratant. Sur la bannière en question: les avatars virtuels de vos amis voient leur teint gris magiquement illuminé. L’intention n’est légère qu’en surface, pour toute dire, elle n’est pas uniquement… cosmétique. Dans cette démarche, c’est moins l’intégration visuelle du support par l’annonceur qui frappe, que ce que cela induit au fond : Les Sims, World of Warcraft ou encore Second Life permettent de créer voire de modifier à loisir son avatar. Dans cette filiation, le cobranding entre Facebook et Vichy (Facebook est-il une marque ou un média ? Les deux, l’un parce que l’autre *) l’avatar virtuel est désormais lifté. Convergence étonnante : ce qui nous rend plus artificiel dans le monde réel nous rend plus humain dans le monde virtuel.

Surtout, vertigineux basculement en cours qui remet en question les formes et frontières de l’homo consumerus. L’enjeu pour les annonceurs est-il de toucher le consommateur, ou son avatar idéal ? L’ego et le ça, objet dual d’obsession. Le Net, media immédiat, réhabilite le surmoi. Ledit avatar est-il l’image réelle projetée et le vrai socle des besoins et des attentes ? Le marketing et la communication, naguère obnubilés par l’image inconsciente, émergent enfin de la Caverne. On passe de la réalité fantasmée au fantasme réalisé : le virtuel version 2.0 (et plus si affinités) marque la version updatée du consommateur-image, hologramme concret. Et Facebook de se muer en matrice marketing. En traversant le miroir virtuel, le Néo conso devient ce qu’il est réellement.

Schizophrénie

Milieu lucide et trouble à la fois puisque le medium Internet, selon le dernier baromètre TNS Media intelligence, suscite la défiance de la majorité des Français en matière d’informations délivrées. Délicieux paradoxe alors que ladite information est de plus en plus l’objet d’une co-construction entre institutions médiatiques et citoyens.

Autre bizarrerie : l’Internet ainsi mis à distance regroupe lui-même… la presse et ses sites officiels. Sous la pression des coûts, les rédactions Internet et papier ont, de fait, tendance à être les mêmes. Les 69 % de défiance mis en exergue porteraient donc sur les contenus non contractuels. Logique ? Pas tant que ça à l’aune de l’époque : troublante réaffirmation du désir de médiation, à l’heure de l’immédiateté et des quotidiens gratuits.
La schizophrénie de l’hyperinformation : poker menteur entre le consommateur expert et manipulateur et le citoyen circonspect. L’individu, acheteur dans les rayonnages ou citoyen dans l’isoloir, avance masqué. Un avatar de plus à gérer.


* Le glissement Europe 2 - Virgin Radio illustre une tendance mais pas celle que l'on croit : en effet la grand mouvement à l’œuvre n’est pas la mutation des médias en marques, mais bien des marques en médias (c’est-à-dire, en médiation, en lien, en relation, en communauté, en expérience partagée, promise et sanctifiée).

lundi 21 janvier 2008

Crise de croissance

Le débat fait rage. Tenace comme un serpent de mer, confortable comme un marronnier. Ultime épisode en date : en ce vendredi 18 janvier, la ministre de l’Economie en personne annonce que la croissance en 2008 ne sera pas, en France, de 2.25 % mais de 2%. Et les medias de relayer avec zèle l’information. Mais quelle information au juste ? Qu’a-t-on voulu souligner, signifier, stigmatiser ? La possibilité d’une pente (2.25 hier, 2 aujourd’hui, 1.75 demain ?) ? Le caractère décisif du quart de point « perdu » ?

Croissance. Martingale, mot valise, sibyllin, quasi ésotérique à force d’être ressassé, qui rejoint la cohorte de ces termes colonisant les ondes avec l’obstination aveugle d’une tumeur. Notion à la fois subtile, complexe, composite et si manichéenne. Au gré de ses qualificatifs, horizon de la finance carnassière comme de l’écologie végétalienne. L’expression « croissance durable » ayant été avancée par certains, avec un succès confidentiel jusqu’à présent. Croissance. Mot curieusement absent de la bouche des Français eux-mêmes. On lui préfère « pouvoir d’achat », « salaire » ou, appliqué à l’écologie, « développement » ou « progrès ».

Ainsi la croissance, tantôt enviée, tantôt abhorrée, n’a pas bonne presse. Mise à distance d’un phénomène froid, abstrait, technique et institutionnel ? Pas seulement : la croissance, ce n’est pas seulement la richesse produite. C’est la performance. Ambition peu aguichante à l’ère de l’invidualisme cotonneux. C’est aussi et surtout le rapport à la collectivité et au collectif. L’indicateur anti-individuel par excellence. Celui qui fait foi quant à l’investissement collectif d’une population, sur sa capacité et sa volonté à mettre en commun ses énergies. Ou à s’investir individuellement pour la communauté. A faire œuvre politique en somme.

Las, dans la société démocratique libérale, le concept de croissance a fait long feu. Il se heurte au développement individuel, lequel exige le bien-être mais se love dans le consumérisme, non pas patriotique mais égotique. Et si, plutôt que de chercher à amender la mesure de la croissance, à l’image de la sollicitation des économistes Amartya Sen et Joseph Stiglitz par le président de la République, on réfléchissait à un baromètre de l’individualisme ?

jeudi 17 janvier 2008

De Charybde en Scylla

Il y a un an… Janvier 2007. La publicité, l’autre vecteur de tsunamis (bénins a priori) : des écrans TV inondés par les spots publicitaires de la grande distribution, brusquement libérés après la fissure du dernier barrage législatif. Une logorrhée. Une libération. Mais pas un soulagement. Si j’avais été directeur marketing dans le secteur en question, j’aurais décidé de ne pas me précipiter. D’éviter les discours fleuves. Et d’opter pour un format différent, pas nécessairement long. Attendre quelques jours, une poignée de semaines, dans une volonté de différenciation tactique mais surtout stratégique. Mais sans doute est-ce pour cette raison que je ne suis pas directeur marketing.

Une déferlante donc. En tant qu’observateur non dilettante, je suis circonspect. En tant que citoyen lambda, je suis submergé. Les messages en question prônent à l’envi une consommation plus responsable, plus qualitative, plus saine, plus raisonnée, plus efficace. Seuls hiatus, et pas des moindres : au temps de la communication holistique, du 360°, quelle voie la grande distribution emprunte-elle en priorité ? Le canal principal de la télévision. Dans un océan de messages quotidiens, les distributeurs tentent d’émerger en nous rappelant que oui, l’on peut mieux consommer. A l’ère de l’hyper segmentation (tendance létale du marketing), les enseignes se bousculent au portillon, au même titre que n’importe quel industriel ou prestataire de services, et rivalisent de promesses. A l’époque des cartes de fidélité individuelles, du one-to-one, de la trinité une et différenciée client-acheteur-consommateur, les distributeurs s’adressent à nous sans distinction.

Exercice d’équilibriste : utiliser les méthodes que l’on dénonce. Ou comment brouiller l’information pour mieux vanter son rôle de vigie a posteriori. Après tout, la (grande) distribution ne se portait pas si mal avant le 31 décembre 2006 à minuit. Après avoir vidé les mega brands d’une partie de leur substance et rogné la prime de ces marques parasites (au double sens d’inutiles et de confusantes pour l’esprit du consommateur), les distributeurs reprennent les recettes naguère dénoncées : ils sophistiquent leur offre et s’attellent à construire de la valeur sur leurs propres marques – de distributeur et d’enseigne, en portant cette fois aux nues la marque jalon. (…repère, comme l’avait pressenti il y a plus de dix ans un certain Michel-Edouard)

La maîtrise et l’exploitation optimale de l’hyper information constituent décidément l’une des grandes batailles de l’époque.

mardi 15 janvier 2008

Death Marketing

IDead (IMort en français). Nouveau concept, et campagne de communication inédite pour… la police. Plus exactement celle de Nouvelle-Galles-du-Sud, province du sud-est australien abritant Sydney. Un concept dont, fait rarissime, les créateurs espèrent… la désuétude rapide. Objectif de la campagne : alerter le jeune public sur la dangerosité de circuler à pied, les oreilles et le cerveau accaparés par les arpèges et les basses de son baladeur. Le cocooning expérientiel a ses limites, au premier rang desquelles une tonne d’acier lancé à pleine vapeur sur la route. Autre singularité : un co-branding (au minimum tacite) entre une marque internationale et une institution régalienne.
La marque à la pomme a nécessairement eu vent, donné son aval voire collaboré à cette initiative. Avec, il faut le reconnaître, un cynisme d’airain. En effet, point de traces ni de taches morbides, et peu d’indices matériels permettant de recontextualiser les scènes en question. Seule une frêle bande blanche induit que nous nous situons en pleine chaussée. Point de stigmates de violence non plus, ni d’effluves d’impact, de traumatisme ou de déchirement. Du reste, le mini juke box demeure à l’image intègre et immaculé, d’une pureté virginale, presque séraphique. Aussi le champ demeure-t-il ouvert aux spéculations : quelle a été la cause véritable de la mort ? Une traversée imprudente et aveuglée ?… Ou bien, plus prosaïquement, une consommation excessive du produit ? Incroyable façon de boucler la boucle : la mort, expérience ultime d’un produit lui-même élevé au range d’expérience ? Si cela est pensé, c’est du grand art. Dans le cas contraire, le « Death marketing » est mort-né. Ce serait un comble.