mardi 26 mars 2013

No future

Le changement, c’est maintenant. Vivement aujourd’hui. De ces deux propositions de foi, étrangement parentes et quasi concomitantes, l’une est désormais fameuse (et joue bien des tours à leur créateurs et au président censé l’incarner, qui n’ont pas compris, à rebours de l’ensemble des Français, qu’un slogan de campagne est AUSSI un slogan de mandature…), l’autre risque fort de le devenir. D’abord parce que son émetteur est l’une des enseignes préférées des Français – Monoprix. Ensuite parce que la phrase dit furieusement son époque.
 
Ici même, nous avons plusieurs fois pointé les stratégies de communication axées sur le culte du présent. Sur cette idée à la fois savoureuse et glaçante que seul l’instant compte (et que la projection et le projet, par voie de conséquence, sont niés et reniés). Monoprix ne pouvait décemment passer à côté de cette tendance massive. Car sous couvert de jouer l’hyper proximité (discours officiel de la marque, qui par ailleurs change son logo et les appellations de ses magasins filles), l’enseigne adhère surtout au temps présent, ou plutôt, devrait-on dire : au temps du présent.
Le philosophe Saint Augustin, un des théoriciens majeurs de la notion de temps, explique dans ses Confessions qu’en un sens, le présent n’existe pas : qu’il s’agit, à tout bien considérer, à la fois d’un passé déjà mort et d’un futur non encore advenu, donc : d’un néant, d’une pure abstraction, non d’une réalité. Monoprix, contredisant Saint Augustin, consacre au contraire, via sa signature paradoxale Vivement aujourd'hui, une temporalité exclusive et excluante : le présent. (A peine dilaté : l'aujourd'hui, ce n'est ni l'hier ni le demain).

Comme d’autres grandes marques, l'enseigne urbaine souhaite nous présenter la chose telle un bonheur expérientiel, comme l’atteste son nouveau et surprenant spot TV : des enfants survitaminés et surexcités bataillant avec des ballons multicolores chargés d’eau. Point de client, point d'offre ni même de marque dans le film. Juste l'expérience. Totale (Totalitaire ?). La pureté de le puérilité, ou l'incarnation idéale de la permanence du présent. Las, la même question demeure : même (ou surtout) grimé par les traits innocents de l'enfance, peut-on continuer de se réjouir de ce "no future" ainsi proposé et encensé ?

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