jeudi 28 février 2008

Joint venture

Les histoires belges sont d’ordinaire courtes et drôles. Les histoires belgo-hollandaises traînent en longueur et amènent un rictus. C’est l’histoire d’un projet de « coffee corner », déclinaison en grande distribution des célèbres coffee shops, lancé par l’édile de Maastricht en Hollande. Le permis de construire ayant été officiellement accordé il y a quelques semaines, rapportent les medias locaux. Car il s’agit bien de grande distribution : 2000m², deux étages et un parking de 700 voitures. Ni plus ni moins qu’un supermarché du cannabis. L’affaire est en procès au plan local, préfigurant les querelles à l’échelle européenne alors même que les pays occidentaux vouent aux gémonies la cigarette, et que des rapports d’études démontrent la nocivité égale voire supérieure du joint par rapport à la clope traditionnelle.

Evacuons ces aspects sociaux, politiques et juridiques et lisons les événements à l’aune du marketing. On voit d’ici le nom de l’enseigne - La Foire aux Joints, Le Juste joint, Joints & Travaux - et la signature à l’avenant - Mini prix Maxi joint, I’m Lovin it, Je Positive. Au niveau de l’offre, le hasch MDD concurrencerait les joints de mega brands, qui aromatisés, qui gourmands, qui enrichis en vitamines, oligo-éléments ou omégas 3. Des joints light, fat free, ergonomiques, issus du commerce équitable. Les rayonnages se diviseraient en produits frais, libre-service, conserves, surgelés. On taira, en revanche, les noms des personnalités les mieux à même d’incarner l’égérie de la future enseigne...

Pour les distributeurs et les marketers à l’écoute du pouls sociétal, le produit joint est somme toute idéal de par les valeurs qu’il véhicule : le bien-être à son paroxysme et, au final, le bonheur. De fait, l’avènement de ce projet chez nos voisins serait une remise en cause sérieuse pour les acteurs de secteurs plus classiques, eux-mêmes fournisseurs de moins en moins officieux de plaisir, d’indolence et de facilité. Qu’il s’agisse d’automobile, de banque, d’assurance ou d’entretien ménager. On en oublierait presque, pris dans ces douceâtres volutes, une autre caractéristique saillante du joint : un déclin momentané mais profond de la clairvoyance.

lundi 25 février 2008

Le consommateur dans la peau

Le marketing est-il une science? Passons sur les matrices, grilles d’analyse, typologies, process et prouesses technologiques, cognitifs, sensoriels et psychographiques. Sans outil ni méthodologie, le directeur marketing le plus autiste ne peut nier l’ampleur du phénomène individualiste et de son hypertrophie, et en faire un axe majeur du développement de son offre. Facile donc, a fortiori pour une firme de l’ampleur de Danone, de démontrer par A+B que culte de l’apparence + préoccupations de santé + époque hédoniste = Danone Essensis. CQFD. Las, les scientifiques tant soit peu consciencieux vous alerteront sur l’importance des variables dans toute équation. Car Essensis n’est pas, un an après son lancement, le succès escompté. De stagnations en déréférencements partiels, un ajustement du positionnement produit est annoncé.

Un cas d’école, pour le meilleur et pour le pire. Une rupture marketing, prophétisaient certains experts. Deux coups d’avance, arguaient d’autres analystes. La cosmeto food, la dermo-nutrition, c‘était déjà demain. Le in cauda venenum des pro Essensis étant : ça marchera, Actimel et Danacol ont bien marché ! C’est d’abord mésestimer la force unique des messages centrés sur le métabolisme strictement intérieur. L’artiste contemporain Wim Delvoye a beau jeu de démystifier le Cloaca, la boîte noire de nos entrailles demeure sujet de fascination et d’inquiétude. Que l’on soit nutritionniste ou femme enceinte, n’est-ce pas là l’essentiel ? Le statut de la peau, lui, diffère. C’est l’intime et l’extérieur entremêlés. De nos jours, on a l’âge de ses artères, mais on n’a plus forcément l’âge de sa peau, loin s’en faut.

S’agissant d’Essensis, et sur un plan marketing, c’est le statut du bénéfice qui est interrogé : entre un yahourt qui renforce le calcium des os, aide à la digestion et accessoirement embellit la peau, et un yahourt rose fushia dédié au paraître, la nuance n’est pas diaphane. Paradoxalement, Essensis est sans doute tout aussi salubre pour la digestion qu’Activia. Mais faire d’un produit banal (une crème glacée peut faire rêver, mais un yahourt ?) un réceptacle d’extraversion, un totem égotiste, voilà un Rubicon que les Narcisse de tout poil ont encore quelques réticences à franchir. A moins que l’idée de brandir son exubérance entre la crème fraîche, le petit suisse et la mozzarella ne soit tout simplement pas sexy. Ces temps-ci, les category managers doivent sûrement être à fleur de peau.

vendredi 15 février 2008

Le réseau a ses raisons…

Le secteur éducatif ne pouvait y échapper. Impossible de rester en marge du puissant mainstream individualiste (sic), qui voit le règne du sur-mesure, du « à la carte ». Phénomène sublimé par les potentialités d’Internet, où l’individu acquiert vitesse, ubiquité et anonymat. L’initiative des créateurs du site Note2be.com permettant aux élèves d’évaluer leurs enseignants sur des critères « strictement liés à la pédagogie » (parmi lesquels la clarté, la disponibilité ou encore la motivation) marque un jalon dans la déliquescence du vertical et le développement de la société horizontale. « Prends le pouvoir » clame le site. La communauté (éducative) faisait l’individu, désormais le second régente la première. L’individu détermine ses propres items de satisfaction et use de cette grille de lecture afin d’évaluer son prestataire de services, en l’occurrence l’école.

De fait, un constat s’impose : les enseignants ont changé de profession. Telle une entreprise « switchant » son domaine d’activité pour coller à la réalité du marché. Les profs ne sont plus des dispensateurs de savoir, ils sont des fournisseurs de capacité d’adaptation, d’esprit critique, d’épanouissement, osons le mot : de liberté. « Nous avons peur d'être notés, car les critères choisis par note2be.com ne sont pas pertinents.* » avance-t-on chez les contradicteurs. La pertinence dans ce monde confus et fluctuant, vaste programme !

C’était attendu, l’affaire a quitté le simple débat pour la querelle judiciaire, appréhendée qu’elle est sous l’angle idéologique : la vision libérale centrifuge opposée à la vision républicaine, centripète. Il est pourtant possible d’observer le phénomène de manière froide, dans sa dimension politique élargie. La démarche de Note2be.com est en effet édifiante : ce à quoi nous assistons, c’est moins un choc des cultures que des structures. Le réseau fracasse la verticalité, la volatilité affronte l’institution, les particules individuelles fissurent l’entité collective. Quand la class action s’active dans les classes, c’est la « nucléocratie » (non pas au sens technologique et belliqueux mais structurel, la référence sociétale étant désormais l’individu-atome) qui se met en branle. Au service d’un idéal forcément paradoxal : « Un pour tous et tous pour moi ». Les frontons des écoles n’ont qu’à bien se tenir…
*source : blog de Contrenote2be.com

mercredi 13 février 2008

Télé dell'arte

Les sondages ne mentent jamais. Comme cette étude BVA conduite pour le ministère de la Santé et rendue publique début février. Son but : faire un bilan des messages de prévention sanitaire accolés depuis un an à tous les spots des fabricants de produits gras et sucrés à la télévision. Qu’en ressort-il ? « Une majorité des sondés (54 %) font une confusion entre le sens du message et le produit promu dans la publicité. Par exemple, ils sont 44 % à penser, à tort, qu'une pub pour un yaourt aux fruits accompagnée du message "manger cinq fruits et légumes par jour" signifie que ce yaourt fournit une portion de fruit. Cette mauvaise interprétation est encore plus forte chez les moins de 15 ans. » (source : Le Monde)

La consternation vient moins tant des résultats – si prévisibles quoique spectaculaires – que de l’étonnement relatif qu’ils suscitent. La matrice alimentaire s’est muée en un programme hyper complexe, aux variables hétérogènes et fluctuantes (au hasard : le prix, la qualité, la distribution, la pub, les médias etc.). Dans ce cadre, ce que les gens attendent c’est en priorité de la clarté. Pas de l’assistance, mais de la pertinence. Visiblement peu taraudés par ces constats, les autorités ont choisi d’ajouter une couche au flou artistique et une ligne de code supplémentaire à la fameuse matrice ! Un spot publicitaire étant déjà une communication à plusieurs niveaux, voilà qu’on empile une nouvelle strate d’information, à rebours, qui plus est, de la visée principale du spot. Verdict : la part du public conquis et nouvellement éduqué par lesdits messages, soulignée par l’étude BVA, se trouve largement compensée par celle du public induit en erreur. Effarant usage de la communication publique.

Une fraction non négligeable des sondés déclare bel et bien avoir infléchi ses habitudes. Seules les sorties de caisse pourraient l’attester. Voire. Les nouveaux usages en question portent-ils sur l’achat ou sur la consommation proprement dite ? Ceux qui ont acheté moins, ont-ils consommé mieux ? Manger mieux, c’est supprimer en priorité le gâteau ultra glucosé de 10h ou celui de 16h ? Une barre chocolatée augmentée d’un fruit, est-ce un équilibre ou bien un dérapage ? Une preuve de maîtrise ou un gage de désarroi ? Pris entre le martèlement de messages disparates et l’enclume du coaching à tout crin, le consommateur devient presque héros malgré lui.

Face aux flots des produits sucrés, favoriser les partenariats entre PME et tissu éducatif au plan local, stimuler l’innovation sur les produits « sains », agir de concert avec les distributeurs (à l’image de ce qui est fait pour les produits verts) : voilà le terrain où l’on attendrait l’Etat. Plutôt qu’une communication (et donc une politique publique) digne de Feydeau ou Goldoni, où le quiproquo et roi et l’imbroglio un principe. Par chance le flou transitoire va faire long feu : d’ici la fin de l’année, l’Etat va convertir les écrans pubs du goûter en « No Mars land ». Le consommateur, soulagé, n’en restera pas moins laissé à son sort : arbitrer entre les normes du bien-être.

mardi 5 février 2008

Le chant du sigle

OGM. Organisme génétiquement modifié. Organisme génétiquement « manipulé », précisent certains esprits forts comme pour pallier une faiblesse inhérente aux trois lettres précitées. OGM, organismes gênants pour le ministre, s’esclaffe ce mardi avec une virtuosité déroutante la chroniqueuse d’une grande radio. La force est dans le sigle. Une simplification formelle pour mieux appréhender le réel ? Le minimalisme est un mouvement si puissant qu’après le design du signifié, il contamine désormais celui du signifiant. Un raccourcissement pour quoi faire ? Matérialiser le rapprochement avec un consommateur échaudé ? LCL, MMA ont ainsi compressé leur identité façon César. Boîte noire vidée de sens (ou, cela revient au même, ouvert à toutes les significations) ? La SG, depuis longtemps déjà « siglisée », n'a guère d'échappatoire. L’identité visuelle et sonore du nom a toujours été décisive. A ceci près qu’elle n’est plus désormais un couronnement mais un point de départ.

Ainsi de l’AGV, égrené à foisons et dont l’ouverture phonétique tranche avec la sécheresse du (bientôt, en tout cas ailleurs qu’en France) feu TGV. Le nouveau sigle porté aux nues renferme les promesses d’un renouveau industriel, et sa cohorte de contrats. Puissance ostentatoire de la dénomination à laquelle répond la triste discrétion dont font l’objet d’autres sigles : PME et TPE.
Rimbaud met le bleu de chauffe : en jouant avec les voyelles, le RMI devient RSA et c’est toute la vision du travail qui s’en trouve inversée. Les ayatollahs du LCD font grise mine, l’OLED – offrant des écrans bien plus plats, bien plus nets – pointant le bout du nez. Mais qu’importe l’épaisseur du flacon, pourvu qu’on aie la HD. Et la TNT en prime, censée produire une onde de choc et fragmenter les audiences, fêlant la coque du vaisseau amiral TF1. TNT, une télévision plus quoi ? Quelle promesse, quelle différence derrière ces lettres ? Numérique terrestre : la déception est à la mesure du bruit effectué. On était en droit d’attendre au moins une TV céleste, stellaire et éthérée.
Spa. Ipod. Wii. Par delà le sigle, c’est une large part du lexique qui endure la loi du moindre effort – principe tout à fait officiel prévalant en linguistique et à l’origine des contractions et simplifications successives dans toutes les langues. La tendance est aujourd’hui à son paroxysme : le chant du sigle célèbre l’indolence et le flou de notre ère.