jeudi 3 mai 2012

Absents de marque

Lorsque la confiance s’érode, lorsque les promesses sont floues, les bénéfices incertains, la vision absente, lorsque les valeurs transmises sont en décalage avec les aspirations du moment, le péril guette : il en est des représentants politiques comme des marques. De fait, en ces temps d’émois électoraux dans l’Hexagone, les grandes marques s’invitent dans le débat, mieux : elles mènent un coup d’état permanent. Et ce bien au-delà des traditionnelles campagnes opportunistes (« Votez Mauboussin » a-t-on entendu récemment sur les ondes, et Vol24.fr d’arguer : « Nous tenons ce que les autres promettent », Ikea d'inviter au « changement » ...de décor, etc.)

Car c’est bien de dimension politique qu’il s’agit. Au-delà des affinités électives, pointent des affinités sociétales. De lucides penseurs tels que Maffesoli et Lipovetsky l’ont explicité : la consommation est le dernier refuge idéologique et politique pour les individus occidentaux. Aussi les machines à voter les plus technologiques (espèce en voie d'apparition), les isoloirs les plus rutilants peinent-ils, plus que jamais, à concurrencer les cabines d’essayage des enseignes de prêt-à-porter (prêt-à-penser ?).
Cet enjeu politique porté par les (grandes) marques prend un tour encore plus puissant en cette année présumée apocalyptique : il n’est que de voir l’étonnante convergence – tous secteurs confondus - des discours sur le bonheur. Coca-Cola, naguère, invitait à « ouvrir du bonheur », désormais il promet carrément « du bonheur pour tous » : de quoi courroucer le plus enjoué des édiles ou des candidats à l’investiture. Alors que Peugeot accole toujours (jusqu'à quand?) un reliquat automobile - « Motion » - à son « Emotion » dans sa signature, Fiat à décidé de partir en roue libre et de se poser en « Fabricant d’optimisme ». Le candidat Zalando promet, sans sexe ni violence, de nous faire « hurler de plaisir ». Mousseline chantonne, nonobstant la qualité de ses flocons à faire sourciller un candidat de Top Chef : « Il y a du bonheur dans l’air ».
Il est frappant de voir à quel point, à l’impuissance des politiques à promettre des lendemains mais aussi un présent qui chantent (tant par réalisme froid que par incapacité à penser une projection collective et cohérente) fait écho, en positif, la vitalité bienveillante et empreinte de sûreté des grandes marques. A défaut de proposer une vision, les marques - désormais délestées de leur stricte mission fonctionnelle - proposent du sens et du ciment entre les individus : un sens provisoire sans doute, giratoire vraisemblablement (!), un ciment éphémère à n’en point douter. Mais on se prend à rêver qu’un jour, au lieu d'être des absents de marque de notre quotidien, la marque France et la marque Europe - au hasard - bénéficient d’une telle aura et d'un tel pouvoir d'entraînement…