mercredi 15 septembre 2010

La tyrannie de Vénus

La publicité s’accommode mal du hasard. Aussi, lorsque deux campagnes TV concomitantes mais d’agences différentes, sur des secteurs différents, usent du même procédé dramatique, peut-on l’élever au rang de phénomène signifiant. Cuisinella, d’abord, met en scène un homme dévoilant avec un enthousiasme non feint à sa compagne leur nouvelle cuisine. La jeune femme, balayant d’un regard satisfait le pimpant ouvrage, pousse subitement son malheureux partenaire posté près de la fenêtre et le fait basculer, avant de commenter : « là, c’est parfait ! ». Ambiance nocturne et en apparence nettement plus sereine pour Senseo : une jeune femme, assise au bord d’une falaise près de sa villa, sirote une tasse de café sous une impressionnante voûte étoilée. Son compagnon survient doucement, s’assied à ses côtés et contemple le ciel en invitant sa belle à faire un vœu. Et la belle de répliquer du tac au tac : « c’est déjà fait ! ». Une demi-seconde plus tard, le coin de rocher cède sous le pauvre hère et l’envoie à plusieurs centaines de mètres par le bas, le spot nous faisant grâce de sa chute, laissant le seul cri de surprise et d’effroi disparaître dans cette nuit pas si tendre.
La chose frappante est que, dans ces deux campagnes contemporaines, le conjoint masculin n’est pas marginalisé : il est carrément zappé, (re)jeté, annihilé. Une telle violence (défenestration, chute vertigineuse) ne peut être dénuée de sens. On aura grand peine à croire que la démarche vise juste à réaffirmer la primauté féminine dans l’espace cuisine et la confection du café - on aura vu conception plus aigue de la modernité... Une autre campagne TV récente pour dosettes concurrentes montrait de fait une jeune femme prolonger plus que de raison un jeu de cache-cache et délaisser son chérubin pour savourer un plaisir solitaire. Simple moment égotiste préservé, sans haine ni violence.
Chez Senseo et Cuisinella, les concordances sont troublantes et font question. D’abord, la violence apparaît gratuite : dans les deux cas, le mâle ne se situait pas dans un rapport agressif, dominant ni invasif mais au contraire dans une posture égalitaire, douce et de partage. L’agressivité comme la soudaineté déployées apparaissent donc autant infondées que révélatrices. Ensuite, les deux jeunes femmes mises en scène ont la trentaine classique, sont plutôt jolies et arborent une manière de plénitude : c’est donc bien l’archétype de la femme moderne qui est représenté (et non une sous-catégorie communautaire). De fait, plus encore que la femme, c’est tout bonnement un des visages de l’individu post moderne qui est ici figuré. L’hyper-individualisme qui irrigue notre ère est incarné à la perfection par les jeunes femmes qui montrent et démontrent à l’envi qu’elles n’ont, au fond, besoin de personne et surtout pas de congénères masculins. Le problème est qu’entre affirmer son indépendance et nier toute forme de relation, l’on navigue entre posture légitime et attitude totalitaire. On ne connaît que trop les revers d’une société machiste. Nous commençons hélas d’entrapercevoir les avatars d’une société hyper individuelle, égotiste et féminine.

mercredi 10 février 2010

De l'essence au sens

L’automobile est morte, vive l’automobile ! N’en déplaise à certains esprits fâcheux, bien qu’étant contrainte de s’arrêter au stand du développement durable, la voiture ne mourra pas de sitôt. Par delà les ferveurs et les engagements politiques et citoyens, qu’ils soient carrément factices ou viscéralement authentiques, le principe même d’un véhicule individuel et égotiste possède une pérennité solide à moyen terme qu’aucun anathème civique ne semble en mesure d’éroder. La façon d’envisager l’automobile nouvelle manière, en revanche, est un sujet réel et décisif. Sur un plan technologique assurément, sur un plan sociétal encore davantage. A cet égard, ce début d’année 2010, symbolique du chiffre oblige, constitue un carrefour de communication rêvé pour déployer sa vision pour les décennies à venir. Les deux poids-lourds Renault et Peugeot ne s’y sont pas trompé qui ont proposé chacun depuis début janvier sur les écrans une campagne de publicité singulière, mi-corporate mi-produit, augurant de démarches profondes.
Le parti-pris respectif des deux constructeurs est frappant tant sur leur différence que sur leur complémentarité. Car leur démarche relève d’une même logique : nourrir, renforcer et développer sa marque média. Le premier, Peugeot, en véhiculant de l’émotion, comme l’atteste sa signature : « Motion & Emotion », Le second, Renault, en accélérant sur les valeurs sociétales. Dimensions affective et sociétale, deux mamelles essentielles du concept de marque média. Dans la stratégie des marques, naguère dominait le produit, hier sévissait le service, aujourd’hui prévaut la relation. Relation viscérale et émotionnelle chez la marque au Lion, relation cérébrale et citoyenne chez la marque au losange. Le spot de Renault se clôt ainsi sur le vœu, passablement déstabilisant, d’une automobile en faveur « de la vie ». On est bien loin des problématiques de performance, de sécurité, de confort et de design, sempiternels axes de valorisation de l’automobile. De fait, beaucoup plus qu’un tour de chauffe ou qu’une parade, les deux campagnes précitées sont bel et bien les instruments d’une approche définitive. Celle induisant que choisir la marque Renault ou Peugeot, c’est contractualiser non plus seulement une relation à un secteur, à une industrie, mais une relation au monde.

dimanche 10 janvier 2010

La revanche du consommateur

« C’est bien parce que c’est vous ». La formule, remise au goût du jour par l’enseigne de distribution Casino et commentée ici-même, Microsoft aurait pu la faire sienne. Pour promouvoir son produit phare, la nouvelle version de son système d’exploitation Windows 7, la firme de Steve Ballmer met en effet en scène dans sa campagne le tout venant, quidams témoignant au coin de la rue, dans leur café favori ou sur la terrasse de leur pavillon, chacun expliquant comment le produit en question est né de ses propres idées et réflexions, et lui doit tout. Une manière d’avancer que le Windows nouveau a été pensé pour et par ses utilisateurs. Histoire aussi d’intégrer davantage le concept de CtoC - consumer to consumer - qui régit aujourd’hui l’approche des marques. L’audace, pour ne pas dire l’ironie, est colossale lorsqu’on sait les défauts perçus et les déboires vécus par ces mêmes utilisateurs avec la version précédente dudit système, Windows Vista. Microsoft a semblé, pour le coup, manqué de vista dans ce domaine en proposant un système au fonctionnement jugé peu pratique parfois, erratique souvent, non optimisé toujours. Bref, en donnant le sentiment, fondé ou non, d’avoir écouté tout le monde – marketers, ingénieurs, financiers, dirigeants – sauf… le consommateur.

En portant aujourd’hui aux nues ce dernier, avec un brin de dérision, Microsoft souhaite faire amende honorable et (re)dire que Windows est conçu pour faciliter la vie, non pour la contraindre davantage. Pour fluidifier son travail, sa gestion et sa vie quotidiennes, ses échanges de contenus et d’informations, non pour les rendre pénibles. La campagne de communication ainsi initiée semble pertinente car transparente sur ses ressorts et sa visée. Las, l’inconvénient des campagnes à tonalité rupturiste est qu’elles induisent un revirement stratégique : en laissant accroire qu’il place au cœur de sa stratégie les attentes du consommateur, Microsoft induit que cela n’a pas toujours été le cas. Pire, la dérision ainsi utilisée se révèle à double tranchant. L’on peut en effet interpréter le parti- pris créatif choisi comme un aveu cynique de la firme : « l’utilisateur a toujours raison », chose parfaitement contestable même en cette ère de dictature du consommateur. Bien au-delà de son système d’exploitation et de ses autres produits et services, la marque Microsoft a encore beaucoup à faire pour démontrer qu’elle est bel et bien non seulement user friendly mais consumer friendly. Contrairement à ce qu’induit la campagne, l’intelligence du consommateur – dans tous les sens du terme - ne se décrète pas, elle se mérite.