lundi 7 décembre 2009

Mauvais genre(s)

Les stéréotypes sont comme la nitroglycérine. Jouez avec à l’aveuglette, tel un petit chimiste de la communication, et les substances vous exploseront à la figure. Maniez-les avec mesure et précision, et votre communication atteindra au moins en partie son objectif, sans dommage collatéral. En matière de dégâts périphériques, le secteur du crédit à la consommation s’avère hélas plutôt en bonne place. Aussi, lorsque Cofinoga propose dans sa nouvelle campagne d’affichage « un taux fixe pour toutes vos idées fixes », peut-on être circonspect. Or, la marque semble ne pas vouloir accorder ici beaucoup de crédit aux idées préconçues. Ainsi d’un homme et d’une femme, côte à côte et figurant manifestement un couple, l’un rêvant de monospaces comme métaphores probables de liberté, de plaisir voire de puissance, l’autre s’imaginant les figurines de mariés accolés que l’on trouve rituellement à la cime des gâteaux de mariage, allégorie un brin surannée et kitsch de l’engagement.

Attardons-nous. On notera d’abord que chacun est représenté avec son rêve propre : la cohabitation de deux indépendances, vision salubre et hypermoderne du couple. Sauf qu’ici, c’est l’homme qui rêve du mariage et bien la femme qui voit ses pensées obnubilées par une voiture… Idéalistes et sensibles, les femmes ? Matérialistes et froids, les hommes ? L’enseigne d’habillement Jules avait déjà détourné avec un relatif bonheur les faiblesses présumées des hommes dans une précédente campagne. Alors que Renault, dans un autre registre, propose dans sa dernière campagne Twingo une vision consternante de la société (cf. « Voie sans issue » ), la dialectique que Cofinoga nous donne à voir ici, au-delà des visées contestables inhérentes à son secteur, mérite l’attention. De fait, elle jette une lumière maligne sur l’attitude et le comportement de la jeune gent féminine - en tout cas des générations de 40 ans et moins - qui revendique aujourd’hui, plus que jamais, un statut de semi-masculinité aux contours ambigus. Ainsi l’on commence à peine, dans la publicité, à voir des femmes montrées sous un jour plus « moderne » : si peu que cela marque les esprits au fer rouge, telles les égéries de Kookaï tirant la chasse d’eau avec autorité pour évacuer leurs courtisans rapetissés et humiliés dans une célèbre campagne de la marque.

De manière fort étonnante, autant l’on glose à l’envi sur la féminisation des hommes, sur la fameuse part de féminité qu’il convient pour eux, au fil des tendances et du curseur sociétal, d’assumer ou d’occulter (métrosexuel vs übersexuel, QI vs QE), autant donc, la masculinisation des femmes constituait jusqu’à encore récemment une manière de tabou en matière de publicité. En effet, seuls dominaient dans l’imagerie commune des incarnations figées et caricaturales : le mannequin à l’élégance rectiligne façon Yves Saint-Laurent investissant avec succès les codes de l’homme et, en nettement moins flatteur, la dirigeante froide et autoritaire façon Thatcher ou pire, l’image sempiternelle de la lesbienne « masculine ». Mais pas de vision sereine et objectivée sur l’état d’esprit, les attitudes et les comportements des jeunes femmes post modernes qui, oui, peuvent développer une attitude de séduction froide et chasseresse, peuvent faire montre d’un égocentrisme absolu, peuvent rechercher le rapport de forces et rouler des mécaniques... Bref, se révéler être des garçons bien plus réussis que manqués, très loin du bon chic et, a fortiori, du bon genre dont on veut bien les affubler souvent.

samedi 21 novembre 2009

Hors jeu

C’est l’histoire d’une incurie généralisée. D’une inconséquence partagée et, à bien des égards assumée, revendiquée voire réaffirmée. C’est l’histoire de jeux de pouvoir, de béances législatives, d’éthique bafouée. C’est l’histoire de prébendes, de satrapes et de sénateurs. C’est l’histoire d’erreurs sidérantes de communication et donc, d’action – car il faut être bien léger pour prétendre vouloir dissocier les deux aujourd’hui. C’est enfin une histoire ô combien politique et révélatrice de la face sombre de notre société et de notre ère. Point de référence ici à une administration, à un ministère ou à une entreprise ni, a fortiori, à tel ou tel de leurs membres et représentants. Non. Nous parlons de football. D’une fédération – la FFF, d’une sélection nationale – l’équipe de France. Mais plutôt que de verser dans des considérations sportives et ad hominem, il convient d’observer le débat en cours sur la qualification effective autant qu’indue des Bleus pour la Coupe du monde 2010 à travers le prisme inédit des marques médias.

Lorsqu’une entreprise s’engage dans un sponsoring de maillot ou dans du naming (ex : le futur stade du MUC 72, le club de football du Mans, baptisé MMA Stadium), elle a clairement pour visée première d’augmenter son taux de notoriété spontanée dans la population. Lorsqu’elle fait le choix d’être partenaire d’une sélection nationale en revanche, les enjeux ont surtout trait à l’image (ex : renforcer le leadership réel et perçu de sa marque), à une vision partagée, à des valeurs véhiculées auxquelles l’entreprise en question souhaite s’associer. De fait, lorsque les Bleus triomphent, au-delà de nos compatriotes c’est l’ensemble de ses partenaires entreprises qui positive, à l’image de Carrefour. L’inverse est également vrai : quand les joueurs français défaillent, c’est le retour sur investissement mais surtout l’image de ses soutiens qui se ternit. Difficile pour Danone de capitaliser sur l’excellence, l’esprit d’équipe, l’efficacité du collectif, le dépassement de soi, l’atteinte des objectifs ou le fair play si les Bleus déjouent en solo et enchaînent les contre-performances. Et ce même si, par ailleurs, le courage, l’obstination et la fidélité dans l’engagement constituent des vertus fort louables. Mais lorsque, comme lors de ce funeste 18 novembre 2009, le onze de France ne respecte ni le public, ni l’adversaire, ni le maillot et, comble du parjure, ne respecte pas l’éthique du sport en arrachant le succès sur une mystification non avouée, le bénéfice final pour les partenaires de l’équipe de France relève du cadeau empoisonné.

Car Toyota, SFR ou encore GDF Suez – toutes associées contractuellement à l’équipe de France - sont des marques. Mieux, elles sont désormais des marques médias, proposant un contrat de valeurs. A ce titre, leurs engagements en termes de communication – et singulièrement dans le domaine sportif - prennent un poids significatif. Qu’importe les retours sur investissement, par ailleurs généralement faibles dans ce domaine. Il faut désormais, pour les marques précitées, assumer jusqu’au bout leur partenariat et continuer de soutenir une équipe qui n’a plus rien de sportif. Ou bien se démettre. En football et sans mauvais jeu de mot, c’est ce qu’on appelle une défaite sur tapis vert.

lundi 16 novembre 2009

En quête d’identité

« Les Français ne sont pas individualistes, ils sont individuels.» La formule n’est pas l’œuvre d’un sociologue, d’un penseur ni d’un artiste américain ou allemand dépiautant notre corps social. Ce constat, c’est François Hollande, ancien premier secrétaire du Parti socialiste, qui le dresse (bien aidé, on s’en doute, par un obscur - ou lumineux, c’est selon - conseiller). A l’heure où une guerre picrocoline fait rage concernant l’enveloppe dévolue aux études d’opinion pour l’Elysée, alors que le grand débat (sur le débat) sur l’identité nationale progresse cahin-caha, la saillie de M. Hollande est considérable. O combien piégeuse sur un strict plan politique, mais diablement lucide sur le plan de l’analyse sociétale. Le consommateur - d’offres commerciales, politiques ou idéologiques - exige aujourd’hui du « à la carte », du sur-mesure. Les phénomènes de catch up TV ou d’egocasting, entre autres, l’illustrent. Le consommateur exige surtout d’être pris en considération en tant qu’individu. Unique, différencié, en somme : individuel. Au fond, les dirigeants politiques ont la même problématique que les directeurs marketing : flatter l’égo tout en tentant de fédérer. Car il y a communautés (souvent éphémères par ailleurs) précisément parce qu’il y a individus. D’où la difficulté en cette fin de décennie à rendre certaines supra-communautés concrètes (au hasard : la nation, l’Europe) et, pour le coup, durables. Par opposition aux infra-communautés, telles que les désigne le politologue Dominique Reynié. Aux plans politique comme marketing, comprendre cette puissante dynamique individuelle à l’œuvre est fondamental, en tirer toutes les conséquences dans la communication et la gestion des marques encore plus. Marques fournisseurs de contenus et de valeurs, boîtes à outils, marques-médias… La liste est infinie du nouveau paradigme à intégrer. Pour appréhender et mettre en application le marketing identitaire, il faut réfléchir à l’identité… du marketing.

vendredi 13 novembre 2009

L'art du lien (2)

A l’origine étaient les médias. Avec pour objectif et raison d’être la capacité à fédérer (pendant plusieurs heures hier, l’espace de quelques minutes aujourd’hui). Et France 3 de sussurer : « de près, on se comprend mieux », Radio France d'avancer : « on ne se quitte plus », RTL de promettre : « vivre ensemble ». Puis les marques, lassées, usées, essorées par la bataille de la promesse produit, du bénéfice service, décidèrent d’adopter à leur tour cette démarche de communication œcuménique et affective. Ce fut d’abord le cas pour les services : Center Parks, « rapprochons-nous » : la détente égoïste laisse la place au partage. C’est désormais aussi valable pour la grande consommation alimentaire. A l’image des fromages - Galbani valorisant l'amitié italo-fromagère dans sa nouvelle campagne TV en la comparant à une seconde famille - et de la charcuterie, avec Cochonou célébrant « des amis et du goût » et plaçant les commensaux avant même ses propres produits. Qu’il est loin le temps où Findus ou Marie se contentaient de proposer des solutions fonctionnelles à des problématiques de repas et d’agenda ! Désormais le produit et sa marque créent voire renforcent le lien entre les individus, bien plus qu’ils ne leur rendent un service. Ils cajolent la tête avant de remplir les estomacs. Leur fonction sociétale cède le pas à une vocation sociale.
Dans tous les cas, l’approche émotionnelle et relationnelle incarne la tendance dominante dans la gestion et la communication des marques. Moyen central pour (re)faire sens dans un monde complexe, effrayant parfois, déstabilisant souvent, que l’on soit face aux urnes ou face au rayon chocolat en GMS. En co-créant et s’appropriant des valeurs consuméristes avec les marques, l’individu forge son identité, chose qu’il ne pouvait plus faire depuis des lustres avec la déshérence des grandes idéologies, du politique et du religieux. C’est Noël avant l’heure…

mardi 16 juin 2009

Le hic du nunc

Plus souvent qu'à son tour, Voyagessncf.com travaille au corps les concepts rois de la consommation hyper-moderne: fluidité, immédiateté, présentéisme (au sens de culte du présent). Dans sa dernière campagne pour son offre Prem's, a priori consistante en termes d'impact et d'humour, des phrases géantes et en trois dimensions - "On verra ça plus tard", "Faut voir" et autres formules de procrastination et d'indécision à l'emporte-pièce - se retrouvent assaillies, dépecées, voire carrément bombardées, embrasées, concassées, tantôt par un dinosaure erstaz de Godzilla, tantôt par des archers tout droits issus des temps médiévaux, tantôt encore par des soldats sans fleur au fusil, avec la promesse d'annihilation intégrale et rapide que l'on devine.

Une approche brut de décoffrage? Voire. En tout état de cause, une vision d'une acuité indéniable. En enterrant en grandes pompes le futur, Voyages SNCF célèbre le hic et nunc ("ici et maintenant" en Latin). Futiles, les regrets, passée de mode, la projection. L'aspiration est au présent. Et confine à la fascination, avec en toile de fond l'obsession conjoncturelle de tenter de capter et de sublimer le fameux "instant présent" : "plus de vie dans votre vie", bis repetita. Une conception qui, pour légitime qu'elle soit, se situe aux antipodes de la philosophie d'un des théoriciens essentiels du temps et de sa perception, Saint Augustin. L'allusion à un maître philosophe est moins baroque qu'il n'y paraît. Pour l'évêque d'Hippone, le présent au sens où on l'entend est une illusion, un concept leurre : en tant que tel, il n'existe tout simplement pas. De fait, pour Saint Augustin, ce que l'on nomme "présent" est pour moitié déjà du passé en voie de formation (donc déjà obsolète), et pour l'autre part du futur (donc n'existant pas encore). En clair, le présent c'est le vide. N'existant plus au moment même où il s'apprête à exister.

Revenons à nos wagons : Voyages SNCF ne fait qu'entériner le choix sociétal assumé depuis plusieurs années: nous avons fait du présent notre pivot et notre matrice. Une matrice aspirationnelle, à ceci près que nous sommes aspirés par une manière de trou noir : le fameux vide augustinien. Voyages SNCF, à l'image de sa maison-mère, s'est muée en fournisseur d'instants impalpables, d'éther et de félicité. Vision païenne, ou au contraire métaphysique et mystique? L'ironie - strictement marketing et compétitive cette fois - est que, en sacrifiant ainsi à l'ère du vide*, la SNCF tendrait à faire du ciel le plus bel endroit de la terre... De facto, le champ concurrentiel entre les voyagistes, tour operators et industriels de tous bords demeure lié au transport : non plus, toutefois, au sens de "déplacement géographique", mais au sens suranné de "déplacement de l'âme" (= joie, bonheur). Hic et nunc. Urbi et Orbi.

* Formule inspirée de l'essai éponyme et majeur de Gilles Lipovetsky.

mercredi 3 juin 2009

Low strategy

L'étude des vocables et de l'imagerie prix utilisés ces deux dernières années, et singulièrement depuis début 2009, par les enseignes est fascinante tout autant qu'effrayante. Alors que le hard discount, en tant que modèle de distribution, prospère, le terme discount, pudiquement découplé de son qualificatif "hard", est accomodé à toutes les sauces par la grande distribution traditionnelle. Aussi est-il assorti de divers compléments : Intermarché prône le "discount utile" - sous-entendant l'existence d'un discount inutile, Carrefour utilise la puissance de sa marque pour lancer une nouvelle MDD à la simplicité épatante : "Carrefour Discount". Aujourd'hui plus que jamais, le terme "discount" semble revêtir une dimension magique voire ésotérique. La grande distribution est l'un des rares secteurs à pouvoir bénéficier d'un tel totem ou mot valise permettant de marketer son offre et de nourrir sa marque. Du moins en théorie...

De fait, le discount ce n'est pas juste du prix bas, c'est davantage. Le mot permet d'induire une épaisseur et une valeur ajoutée supérieures en regard du simple rabais tarifaire. Il sous-entend : des produits moins chers qu'il serait (et donc était jusqu'à maintenant) absurde de payer cher. Le hiatus est que cette stratégie du rabais risque de glisser vers une stratégie au rabais. Car valoriser une offre discount, c'est insuffler le doute sur l'offre classique jusqu'alors proposée (puisque l'on nous serine que la marque et les produits discount perdent en prix mais pas en qualité). C'est insinuer : en marge de notre offre discount, nous vous proposons une offre d'un rapport qualité-prix médiocre puisque sensiblement plus chère et à peine supérieure au plan qualitatif.


Plus profondément, cela questionne la valeur en soi et la valeur de la marque. Créer comme Carrefour une marque produit discount en son sein, c'est franchir une manière de rubicon. En tant que marque enseigne, Carrefour est fondée à proposer divers niveaux de prix et de qualité, c'est sa valeur ajoutée de distributeur. A condition d'assumer le différentiel de qualité, de plaisir et d'autres dimensions constitutives d'une grande marque produit (industrielle ou distributeur) en regard d'un produit sans marque et discount. Or dans le contexte d'une offre MDD déjà pléthorique et agressive en termes de prix (quel destin pour la marque "1er prix" de Carrefour?), on laisse accroire que le discount est l'unique échappatoire et le nouveau graal consumériste. L'horizon se fait ténu : payer toujours moins. Et la prochaine étape se dessine : ne plus payer du tout. Après tout, l'on peut imaginer, dans la lignée de denrées dont la DALUO est légèrement dépassée et vendues à des prix quasi symboliques, que des produits officiellement de qualité médiocre sinon aléatoire au plan des implications sanitaires soient distribués gratuitement voire, quitte à être cohérent, assortis d'avantages et compensations divers. Une logique de valeur inversée, en somme.

La valeur est bel et bien en crise. Cette crise qui pointe sous les coups de butoir de la discountmania est sérieuse et dramatique. Parce que les gens déclarent leurs réticences à payer plus, on entérine le postulat qu'ils aspirent forcément à payer moins. Plutôt que de réfléchir et d'agir sur les leviers qualité, innovation, valeur ajoutée, on pousse allègrement le levier prix. Dans un monde complexe, aux repères fluctuants voire inexistants pour le consommateur comme pour le citoyen, le terrain de la valeur, et particulièrement de la valeur d'attachement aux marques, devrait être non pas abandonné mais ré-investi avec force. Raisonner exclusivement en termes de prix, voilà qui, à terme, risque de se payer très cher.

dimanche 17 mai 2009

Voie sans issue

« Bien dans son époque, bien dans sa Twingo ». Tel est le mot d'ordre dicté par Renault dans sa dernière campagne. Alors que la Twingo originelle proposait avec malice d' "inventer la vie qui va avec", ménageant l'horizon des possibles, des perspectives nettement plus circonscrites nous sont offertes ici : un quinquagénaire grimé en travesti et une jeune diplômée en meneuse de revue, tous deux décontenancés puis rassérénés par l'ouverture d'esprit de leurs proches mettant soudainement au jour la vérité les concernant.
Le présent blog a déjà fait allusion aux limites et, pour tout dire, au caractère désormais erroné de certains motifs licencieux en publicité. La faute à un contexte qui tend à rendre le procédé non pertinent et totalement inopérant. Comment décrypter la campagne en question ? Vous assumez une identité sexuelle fluctuante, ou vous considérez le spectacle de nus comme un bon premier job, vous êtes donc bien dans votre époque ? Bien dans son époque au sens donc cynique, rapport avec une ère de malaise, d’indécision identitaire, de crise des valeurs, de crise tout court ?
Sans même évoquer une enième fois la conjoncture désastreuse au niveau économique, il apparaît que Renault joue un jeu dangereux. Et, en écho à la campagne Laguna déjà évoquée ici même, jongle avec les poncifs sans le moindre recul et au final, donne un sentiment tragique : celui de ne pas laisser de railler ses clients et ses prospects. Car si considérer que la multiplication des transgenres au sein des familles constitue l'un des traits saillants de l'époque voire pire, si être bien dans son époque c'est, non pas seulement comprendre mais se réjouir de ce qu'un proche puisse être travesti ou travailleuse dans un peep show, alors c'est faire preuve d'une capacité d'analyse et d'une lucidité troubles, pour le moins.
Seul un brin de cohérence subsiste dans ce fratras communicationnel à la lisière de la démagogie : de fait, la campagne Twingo est à l’image du nouveau modèle qu’il est censé servir : peinant à créer un impact et à se différencier. Tout le contraire de la première Twingo, qui innovait alors, tant sur le plan du design que du concept de véhicule (précurseur des mini monospaces) et, au-delà, sur le rapport à l’automobile. (En toute objectivité, qu'est-ce qui différencie une Twingo d'une Modus ou d'une Clio aujourd'hui?). Si l’on était cruel, on avancerait qu’un produit médiocre (non pas au plan technique mais sur sa valeur ajoutée, sa promesse, sa raison d'être) a la communication qu’il mérite. Et si Renaut Twingo était en total déphasage avec son époque ?

samedi 9 mai 2009

De l'eau dans le gaz

En période de tempérance consumériste, une relative folie des grandeurs peut-elle être salubre ? A cette question Perrier semble avoir répondu « non ». Rien à redire, si ladite folie n’était inscrite dans les gênes de la marque. Comme l’a rappelé fort à propos l’exposition "40 ans de pub télé" aux Arts Décoratifs à Paris, Perrier s’est toujours distingué par des publicités spectaculaires, poétiques, oniriques, fantasmagoriques, en somme – osera-t-on – décalées (au sens positif du terme, tant le qualificatif essaime dans les critiques artistiques avec une vacuité confondante : un « acteur décalé », un « humour décalé »… Par rapport à qui, à quoi? Le décalage comme poétique du vide.)
Des soldats de plomb montant une opération frigidaire à la galaxie se trémoussant sur les syncopes de James Brown, en passant par le match surréaliste de John McEnroe dans un décor d’apocalypse, la fraîcheur a toujours été placée à la fois au centre et à la marge des communications Perrier. Le décalage du ton et du traitement primaient, avec pour dessein systématique d’impacter les mémoires et, par dessus tout, de véhiculer une atmosphère, une magie, des valeurs et au final un statut : on ne consomme pas de l’eau gazéifiée, on sirote un éther… Perrier c’était jusqu’alors un esprit et un état d’esprit.
Or, dans la
campagne Perrier à la TV fraîchement née, point de cela : une femme urbaine, assaillie par une soif et un décor en déliquescence, se précipite chez elle et, butant mollement sur des objets guimauves, atterrit dans une piscine. La pub est centrée sur un bénéfice on ne peut plus clair : rafraîchir efficacement. Cette torpeur où les objets fondent se révèle d’une froideur glaçante, et le Graal de se faire soudainement prosaïque : pour l’une des premières fois dans l’histoire de la marque, il est possible de remplacer dans le spot concerné la bouteille ventripotente par une canette de soda X, de thé glacé Y voire par une box de chewing-gums mentholés Z. De fait, Nestea n’avait pas fait autre chose il y a 3 ans, dans une publicité percluse d’effets spéciaux, en figurant une jeune femme arpentant la ville dont le visage perlant de sueur était brusquement revivifié et asséché par une gorgée du précieux thé glacé… Louable pour une boisson plate (dans tous les sens du terme), suffisant pour Perrier ?
La déclinaison en affichage de cette campagne molle [cf. supra] est davantage pertinente, pourra-t-on objecter, tant la dimension plastique surréaliste se charge en signification. Le soucis est, une fois encore, que l’identité et donc la différenciation Perrier a toujours passé en priorité par les spots TV. En 2009, une large partie de la valeur statutaire et de la magie de la marque semblent s’être évanouies dans les prémisses des vapeurs estivales. Oublier la valeur de marque au profit du seul bénéfice de base : étonnante posture dans un contexte de concurrence ravivée sur les boissons désaltérantes. Le choix d’un Perrier va devenir très aléatoire. Et le constat de s’imposer : Perrier, ça n'est plus fou ! Pure folie…

mercredi 11 mars 2009

L'ego à point nommé

Demandez à la femme de la rue, à brûle-pourpoint, si elle a déjà connu l'orgasme, et vous recevrez sans nul doute une volée de bois vert. Sur la forme, le département de la Gironde prend soin de s'abriter derrière un site Internet, des affiches, dépliants et autres messages sur papier glacé. Sur le fond en revanche, il fait preuve d'une audace comparable en invitant chacun(e) à trouver, sans complexes ni remords, "son point G". Un "G" comme Gironde, cela s'entend. Et non, tant s'en faut, comme galéjade, la visée étant on ne peut plus sérieuse. Après le vague, pudique et au fond très protestant "alsacez-vous" lancé naguère par la région Alsace pour vanter ses charmes, la ferveur girondine, beaucoup plus explicite, fait plaisir à voir et redonne corps et sens à la diagonale du plaisir. Quand la com se fait gironde, on a tôt fait de vouloir franchir le Rubicon.

Surtout, la campagne girondine traduit un basculement décisif. D'ordinaire, les communications touristiques proposent une expérience univoque et placée sous le signe de l'extraversion : réalisez vos envies et vos projets via la multiplicité moribolante des facettes proposées par le département, la région ou le pays concerné. Dernièrement, le département du Loiret affirmait sans ambage : "Le Loiret vous réussit", tout le monde étant, en théorie, susceptible de s'y accomplir. Ici, l'expérience girondine promise est toute autre, pour ne pas dire opposée : oubliez la diversité de la région, l'ouverture, la découverte, l'exotisme (l'altérité, la surprise) induits. Partez plutôt pour vous retrouver et vous auto-centrer. En somme, la gironde Gironde célèbre - ô surprise - le dogme de l'individu roi, en tant que moyen, fin et horizon indépassable. Car outre le surf sur la vague du plaisir, désormais classique bien qu'ostentatoire ici, c'est la réthorique individuelle à l'oeuvre qui frappe par son acuité.

De fait, la référence au point G est davantage qu'une coquetterie créative. Le centrage s'effectue sur une zone dont la particularité est d'incarner une double réalité. D'abord, l'intimité la plus absolue : celle cachée des autres mais aussi souvent de soi-même, tant la personne a parfois du mal à la trouver et à la connaître. (Le point G incarnant, au fond, un mythe à l'instar de l'inconscient en psychologie, fascinant parce qu'inconnaissable par essence). Ensuite, un élément de différenciation donc d'individuation ultime : la localisation, la perception, voire l'existence même d'un point, DU point G variant d'une femme à une autre. Bref, point de symboles plus individualistes que cette lettre et ce point. Avec la cristallisation autour d'une lettre unique, sybilline, l'on atteint une manière de paroxysme egotique. Dès lors, une interrogation brûle les lèvres (sans malice sémantique) : à son tour, l'Eure-et-Loire aura-t-elle l'audace d'inviter les Français à sublimer leur Etre, leur Eros et, au final, leur Ego ?

samedi 21 février 2009

Agapes the blues

Dehors, les frimas perdurent. Dans les foyers, la chaleur résiste et s’affirme : « Un dîner presque parfait » sur M6 mitonne l’audience, cartonne et met du liant dans le relationnel médiatique et intepersonnel. La chose prend une résonance toute particulière en ces temps de guerre froide économique et de déprime consumériste. Sous la rudesse du fond de l’air, l’on pouvait craindre une résurgence du travail, famille, « pâtes-riz ». Par bonheur, à l’image de la « Marmite de bouillon » proposée par Knorr – vocables dénotant un concentré hyperbolique, pantagruélique et quasi orgiaque d’épicurisme -, le marketing culinaire tente de capter la quintessence du terroir, du naturel et du partage pour pallier la rudesse des climats (sociétaux, économiques). Ni plus ni moins que les agapes contre la déprime.

Aussi en est-il d’un produit a priori peu sexy : le gnocchi. Génétiquement basique et modeste, le gnocchi est à sa manière, et à l’instar du ravioli, un parangon de la simplicité culinaire et de la modestie économique. Le défi des industriels proposant des gnocchi à poêler n’était donc pas aussi mince qu’une feuille de brick. L’air de rien, la démarche tend à démontrer la pertinence des innovations en période d’atonie économique. En bref, la crise favoriserait l’innovation, notamment sur des produits… de crise.
Au-delà du levier praticité d’usage, l’idée sous-jacente est de réenchanter les féculents et leurs succédanés : conférer du croustillant au moelleux, de la sensation à la mollesse, de la surprise à l’attendu suprême. Et accessoirement, renforcer la valorisation (dans toutes les acceptions du terme) du produit. Le CNIPT (Comité national interprofessionnel de la pomme de terre) ne dit pas autre chose dans sa campagne publicitaire, en ponctuant la mise en scène de son Eden ( la pomme de terre comme idéal!) revisité d’un mot d’ordre faussement paradoxal : « La pomme de terre, contre l’ennui, pensez-y ».

En somme, la cuisine se révèle comme le vecteur essentiel d’une forme de back to basics enjouée aux plans social et sociétal, dont le terroir, ou bien le vintage dans la mode, sont des hypertrophies. En cuisine comme en musique, le blues peut décidément avoir du sex appeal.

vendredi 13 février 2009

Sweet Metal Jacket

Nouveau décès tragique d’un officier français en terre afghane, cette semaine. Est-ce un événement ? En d’autres termes, était-il pertinent non pas - bien sûr - de l’évoquer mais de le mettre en exergue comme cela a été, une nouvelle fois, fait par la majorité des medias hexagonaux ?

Nos soldats, les soldats en général, risquent la mort au quotidien, assurément. Bien davantage que des fleuristes, un peu plus que des pompiers, autant que des convoyeurs de fond, sans doute moins que des mineurs de charbon ukrainiens ou chinois. Quelle est donc cette ère cotonneuse où la mort, dramatisée, marginalisée, se retrouve quasi rayée de l’horizon des possibles occidentaux ?

jeudi 8 janvier 2009

La crise miracle

Trois idées portées par le vent glacial de l’hiver météo-consumériste: primo, la neurasthénie guetterait le Père Noël. Les dirigeants du FMI craignent en effet que la récession (terme à l’aigreur sonore, rugueuse et sifflante… Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos traites ?), que la récession, donc, mène à la dépression (économique mais aussi psychologique pour le corps public). Deuxio, la crise aurait tendance à creuser les différences et accentuerait l’individuation et l’individualisme. Tertio : la tourmente financière condamnerait les marques : le no logo et sa traduction concrète – le no conso – auraient de nouveau le vent en poupe.

En contrepoint, un anticyclone charriant trois idées printanières : d’abord, la consommation a des vertus euphorisantes. Sur les routes et sur les ondes, les ludospaces Picasso fleurissent et dans les communications de la marque aux chevrons, des enfants jouent aux anges manipulateurs en modifiant à l’envi le décor et les paysages. Ensuite, la récession se veut communiante et communisante : le géant Sony, largué par Nintendo sur le terrain du relationnel ludique, propose pour sa console PS3 une nouvelle version de son Buzz ! Quiz TV et ses manettes semblables à s’y méprendre – la couleur noire mise à part – à celles incarnant le succès du concept Wii. Et le maître de la simulation égotiste (jouer les têtes brûlées sous le feu ennemi, empiler les aces à en dégoûter le clone virtuel de Nadal) de découvrir les joies de la simplicité et du jouer (donc du vivre ?) ensemble. Enfin, en faisant notamment gagner des miettes du Graal - le pouvoir d’achat (fascinant indicateur repris par une partie de la gauche en politique : la capacité d’acheter comme pivot des analyses et des revendications, on a vu posture plus cohérente), les marques demeurent des entités magiques et refuges. Choisir le hard discount, c’est choisir un certain type de marques et donc s’insérer dans une communauté partageant les mêmes valeurs, priorités et préoccupations.

On soupçonnait que la crise favoriserait les sans-marques et les « sous-marques », célébrant le désenchantement de la surconsommation. Tout au contraire, elle met au premier plan l’importance de la communauté et du relationnel, paradigmes dont les formes les plus abouties ne sont autres que les marques et leur version post-moderne : les médias. Loin d’ébranler le consumérisme, l’ère présente va peut-être accélérer la mue de ce dernier vers un consumérisme affectif. Consommer différemment, à n’en point douter. Consommer moins, certainement pas.