mercredi 14 novembre 2012

Splendeur et misère de la créativité

- PHOTO DU HAUT : un vélo évolue dans un univers en papier se déployant façon origami (Image de la dernière campagne  TV Banque Populaire - Octobre 2012 - Havas Worldwide)
 
- PHOTO DU BAS : un vélo évolue dans un univers en papier se déployant façon origami (Image de la dernière campagne TV Groupe La Poste - Septembre 2012 - Havas Worldwide)
 
Deux créations du même groupe de communication (Agence Euro RSCG pour le premier, agence BETC pour le second)...
 
Les télescopages sont rares mais ils surviennent parfois dans les créations publicitaires. Après tout, une bonne idée ou un bon ressort créatifs peuvent illuminer deux esprits à quelques temps d'intervalle, la mémoire n'étant par définition pas infaillible... Mais à trois semaines de distance, la chose est inédite et passablement consternante ! Une mauvaise blague en papier de nature à chiffonner les clients concernés ?



lundi 5 novembre 2012

Changer la vie

Certaines marques jouent avec le feu (ultime exemple en date, Chanel avec sa dernière campagne TV pour n°5, encore plus grotesque et brouillonne dans sa seconde version, agrémentée de séquences féminines sans lien avec la séquence de Brad Pitt et réduisant cette dernière à un faire-valoir), d’autres renaissent de leurs cendres (Rivoire & Carré), d’autres encore cherchent le feu sacré.
 
Amazon et Facebook sont de celles-là, qui pour la première fois investissent le film TV publicitaire pour communiquer, délaissant les hautes plaines virtuelles. Alors que les marques, dans tous les secteurs, s’attèlent à justifier et à conforter leurs compétences de médias digitaux (producteurs et fédérateurs de contenus, creusets d’expérience et d’engagement avec leurs clients et prospects Internautes), les medias eux, s’attachent à travailler leur statut de marque : au-delà de l’offre, être à même de diffuser des valeurs et nourrir son capital symbolique. La démarche télévisuelle de Facebook, hypermédia par excellence avec son milliard d’individus (inter)connectés, est donc parfaitement légitime malgré sa formidable notoriété déjà acquise. Amazon de son côté, pure player en mutation, n’a non plus d’autre choix que d’investir les flux classiques de communication pour conforter son aura. Dans les deux cas, l’objectif n’est pas la puissance, mais la différence et la quintessence, que seul le statut envié de grande marque peut soutenir.

Et Amazon et Facebook sont en passe de finaliser avec brio ce processus de « marquogénèse » : non contentes d’incarner désormais un repère fort sur leur marché respectif (définition première de la marque), au-delà-même de la problématique des croyances, convictions et valeurs sur lesquelles se retrouvent leurs clients, les deux entités communiquent à toute force sur la caractéristique ultime, la plus difficile à acquérir mais qui fait la différence entre une marque et une grande marque : des missions sociétales et, partant, une raison d’être. En l’espèce : pour Facebook, soutenir le mouvement connectif et communautaire révolutionnant les us communicationnels et les fondements de notre société, pour Amazon, faciliter et bonifier le quotidien. En somme et pour reprendre un légendaire slogan de campagne politique cette fois : changer la vie. Le match entre la consommation et la politique tourne décidément à la démonstration.

mardi 16 octobre 2012

Marquicide

« What else ? ». Le gimmick le plus puissant de la pub et du marketing contemporains a peut-être trouvé son contre-exemple exact : « So what ? » (voire, de façon plus hardie : « WTF ?! »). Deux réactions potentielles et probables à la vue du nouveau film publicitaire de Chanel n°5…. Ce tour de force malencontreux a pourtant une séduisante genèse, tout en audace maîtrisée : muer l’émettrice en émetteur, l’égérie en parangon, masculiniser l’aura pour mieux en exalter la quintessence féminine. Et frapper fort et juste, en écartant tout risque : Brad Pitt, starissime, protéiforme, en somme : parfait.

Las, l’exécution créative du spot laisse pantois de dépit : noir et blanc gratuit et donc affadissant, sermon verbeux, sclérosé de poncifs, attitude au mieux détachée, au pire déconnectée de l’acteur… Bref, l’anti-recette absolue d’un film de qualité, ou de manière plus ambitieuse, de rupture.

Certes, Chanel fera indubitablement parler de lui. Et de fait, on pourra y déceler un relent d’innovation : la prestation de M. Pitt, avec ses atours d’oraison funèbre ou pire, de testimonial au rabais, donne l’étrange impression d’assister à un « marquicide ». Sans haine ni violence, mais avec une victime expiatoire et ostentatoire : la marque Chanel

jeudi 11 octobre 2012

Faux plis

« Tout le monde a besoin de savoir que son avion va voler ». « Les gens espèrent que leur voiture va rouler ». « Les consommateurs attendent que leur lecteur Blu Ray fonctionne »… Si Airbus, Renault et Sony s’exprimaient respectivement de la sorte, on croirait à une mauvaise plaisanterie. Au mieux, à une entreprise de réassurance baroque, maladroite et, au final… assez peu rassurante ! Emettre un message sur la qualité oui, verser dans la lapalissade concernant son métier non. Back to basics oui, mais certainement pas back to basique.
C’est pourtant la posture osée et assumée par l’agence de publicité BETC et son client, le Groupe la Poste, pour son tout premier film TV. Un événement donc. En exergue de ce spot tout en papier, le groupe déclare sans ambage : « Tout le monde a besoin d'être sûr que les lettres arrivent ». Passons sur le parti-pris créatif de l’origami : à l’heure de la dématérialisation accrue, on peut comprendre le souci de réaffirmer l’affect propre au papier… Au risque toutefois d’apparaître passéiste et de faire craindre de rater un virage, tel Kodak ayant tragiquement sous-estimé l’explosion de la photo numérique.
Mais « savoir que ses lettres arrivent » (!) Loin d’une promesse d’efficience, le Groupe La Poste, sans temporalité affichée, sans bénéfice exprimé, se contente de dire qu’il fait son métier, ou plus précisément le strict minimum. Car à l’orée de 2013, l’individu-client, qu’il soit particulier ou professionnel, n’attend pas que son courrier arrive à destination, ni même qu’il le fasse sans avatar : cela, à tout le moins, constitue un pré-requis (Imaginerait-on un centre hospitalier français vanter son hygiène ?). Non, le client attend que ses plis et colis arrivent (très) vite, et avec constance.
En choisissant de mettre en avant sa capacité à satisfaire un simple pré-requis, La Poste laisse accroire qu’elle n’a pas encore changé de siècle. Un hiatus d’autant plus étonnant eu égard aux vraies et profondes évolutions impulsées au sein du groupe depuis quelques années. Ou comment prendre la notion de réassurance trop au pied de la lettre…

jeudi 7 juin 2012

Espèces d'espace

Dans ce présent blog, nous regrettions l’amère potion prodiguée par Perrier depuis trois ans, avec une campagne TV froide et dépourvue de folie, folie pourtant ancrée dans le patrimoine génétique de la marque. Par bonheur, à l’orée de cet été 2012, Perrier se ressaisit et retrouve le P de la pétillance et de la pertinence grâce à une nouvelle campagne TV aux atours de science-fiction.
Cela n’a rien d’anodin : la science-fiction, c’est avant tout la science de la fiction (La disparition de Ray Bradbury – grand maître du genre - le 6 juin nous le rappelle hélas à propos). Autant dire qu’elle constitue un canevas idéal pour les marques : en hypertrophiant notamment la technologie, elle ouvre le champ des possibles créatifs. En témoigne, par exemple, la campagne actuelle de Mentos sur ses nouveaux chewing-gums UP2U (basée sur les déconvenues de la téléportation).
Plus stratégiquement encore, Perrier renoue avec les grands espaces, ou plutôt le grand espace. Celui-là même dont les planètes rebondissaient sous les rythmes syncopés de James Brown, ou encore celui qui semblait accueillir le match irréel de John McEnroe sur terre battue, dans une atmosphère martienne autant que martiale.
En 2012, Perrier élève encore le niveau et s’attaque au roi soleil lui-même, excusez du peu. Avec, dans les derniers plans du film, une confrontation directe et tactile entre l’astre immense et l’héroïne, choc plastique dont la relative beauté n’est pas sans rappeler une autre création récente et autrement plus ambitieuse : Melancholia de Lars Von Trier. Dans l’espace, personne n’entend vos cris, rappelle la franchise Alien avec son Prometheus, autre parangon de science-fiction à l’affiche. Seul, éventuellement, le doux bruit de l’effervescence parvient-il à percer le silence intersidéral... Perrier, c’est sidérant !

jeudi 3 mai 2012

Absents de marque

Lorsque la confiance s’érode, lorsque les promesses sont floues, les bénéfices incertains, la vision absente, lorsque les valeurs transmises sont en décalage avec les aspirations du moment, le péril guette : il en est des représentants politiques comme des marques. De fait, en ces temps d’émois électoraux dans l’Hexagone, les grandes marques s’invitent dans le débat, mieux : elles mènent un coup d’état permanent. Et ce bien au-delà des traditionnelles campagnes opportunistes (« Votez Mauboussin » a-t-on entendu récemment sur les ondes, et Vol24.fr d’arguer : « Nous tenons ce que les autres promettent », Ikea d'inviter au « changement » ...de décor, etc.)

Car c’est bien de dimension politique qu’il s’agit. Au-delà des affinités électives, pointent des affinités sociétales. De lucides penseurs tels que Maffesoli et Lipovetsky l’ont explicité : la consommation est le dernier refuge idéologique et politique pour les individus occidentaux. Aussi les machines à voter les plus technologiques (espèce en voie d'apparition), les isoloirs les plus rutilants peinent-ils, plus que jamais, à concurrencer les cabines d’essayage des enseignes de prêt-à-porter (prêt-à-penser ?).
Cet enjeu politique porté par les (grandes) marques prend un tour encore plus puissant en cette année présumée apocalyptique : il n’est que de voir l’étonnante convergence – tous secteurs confondus - des discours sur le bonheur. Coca-Cola, naguère, invitait à « ouvrir du bonheur », désormais il promet carrément « du bonheur pour tous » : de quoi courroucer le plus enjoué des édiles ou des candidats à l’investiture. Alors que Peugeot accole toujours (jusqu'à quand?) un reliquat automobile - « Motion » - à son « Emotion » dans sa signature, Fiat à décidé de partir en roue libre et de se poser en « Fabricant d’optimisme ». Le candidat Zalando promet, sans sexe ni violence, de nous faire « hurler de plaisir ». Mousseline chantonne, nonobstant la qualité de ses flocons à faire sourciller un candidat de Top Chef : « Il y a du bonheur dans l’air ».
Il est frappant de voir à quel point, à l’impuissance des politiques à promettre des lendemains mais aussi un présent qui chantent (tant par réalisme froid que par incapacité à penser une projection collective et cohérente) fait écho, en positif, la vitalité bienveillante et empreinte de sûreté des grandes marques. A défaut de proposer une vision, les marques - désormais délestées de leur stricte mission fonctionnelle - proposent du sens et du ciment entre les individus : un sens provisoire sans doute, giratoire vraisemblablement (!), un ciment éphémère à n’en point douter. Mais on se prend à rêver qu’un jour, au lieu d'être des absents de marque de notre quotidien, la marque France et la marque Europe - au hasard - bénéficient d’une telle aura et d'un tel pouvoir d'entraînement…