dimanche 21 décembre 2008

Bête de sexes

Le féminisme, tremplin et impasse de la cause féminine : l’antienne est connue. En apparence loin de ces considérations, le magazine Elle dresse benoîtement dans son édition de décembre le palmarès des meilleurs "blogs féminins". Stupéfiant postulat d’induire que les blogs sont sexués. Plus encore, on est ébaubi à la lecture des catégories de blogs distinguées, en apprenant que l’expertise féminine continue de s’exprimer en priorité dans la cuisine, le sexe et la mode. Par ailleurs, cette posture éditoriale induit une alternative étonnante : ou bien il n’existe pas de blogs masculins pertinents dédiés à ces mêmes sujets (voire), ou bien ces blogs existent, et dans ce cas le clivage blog masculin / blog féminin fait-il sens ? Mais le message de Elle se révèle surtout d’une furieuse ambiguïté en entérinant le concept de blogueuse de moins de 50 ans. L’ironie est belle.

Fi de ce féminisme larvé : en contrepoint est l’Homme. Pas n’importe lequel cependant : l’über-sexuel. Un métro(sexuel) nommé désir : l’ode a fait long feu. Désormais le viril homme veille. Et Guerlain de figurer un bellâtre aux yeux perçants s’abreuvant à fougueuses gorgées, en toute naturalité, avec ses comparses fauves. Orangina, de son côté, célèbre depuis des mois l’animalité des hommes (et des femmes) dans une campagne « 100% naturel ». L’encensement de l’animalité est plus qu’un retour aux sources commode : bien davantage qu’un repli génétique face à la crise, qu’un Darwinisme nihiliste, c’est une vérité première et primale qui se dégage : entre l’homo erectus et les avatars de Bernard Madoff, n’aurait-on pas bestialement régressé ?

samedi 29 novembre 2008

L'art du doute

Jacques Séguéla de nous expliquer dans Médias, sur France 5, que Ségolène Royal a tout juste, que Martine Aubry n’a pas compris que le monde est virtuel et communicationnel. Un doute survient : M. Séguéla n’était-il pas le conseiller principal de Lionel Jospin lors de sa campagne introvertie, non virtuelle et anti-communicationnelle de 2002 ? L’expérience comme politesse du cynisme… Définitivement, le doute est un art vital mais il exige du courage.

Doute, toujours. De retour de l’exposition majeure Retour à zéro à Lyon, qui déploie certaines œuvres essentielles de l’immédiat après-guerre, entre abstraction sombre ou lyrique, surréalisme et primitivisme. Jamais l’art n’a été aussi bousculé : sur sa raison d ‘être, sur sa capacité à influer, à exprimer l’indicible. Résultat : une grande humilité, une formidable diversité et au final l’interrogation – sur soi, sur le statut d’artiste – placée au centre. L’art, ce n’est pas l’assertion. C’est précisément le doute. Que de leçons à méditer pour les artistes actuels !

lundi 27 octobre 2008

Crash test

La crise est donc là. Avec, cloués au pilori, voués aux gémonies, les errements bancaires, financiers et économiques censés être à son origine. Et le marketing dans tout ça ? Celui, incitatif, de la communication commerciale mais aussi celui, prospectif, de l’innovation, de la compréhension des consommateurs.
Parmi les secteurs les plus impactés, l’automobile trace la route. Les principaux acteurs de cette industrie, au premier rang les Français, annonçaient pourtant à l’unisson des dizaines de nouveaux modèles pour 2008, 2009 et 2010. De fait, n’est-ce pas là le premier problème : dans un contexte d’hyper segmentation, de surabondance et de flou dans l’offre, d’atonie de la consommation en Europe de l’ouest, est-il pertinent stratégiquement de multiplier les nouveaux modèles ? Pire, en termes d’image de marque, cela atteste-t-il d’une quelconque capacité d’innovation ?
Que les constructeurs mésestiment les attentes des consommateurs en proposant des voitures de moins en moins différenciées à la valeur ajoutée incertaine, qu’ils jouent avec leur employés en tablant sur des prévisions de vente irréalistes (toute crise égale par ailleurs), c’est une chose. Mais la goutte qui fait déborder le vase, c’est cette fois bien en matière de publicité. Pour vanter le nouveau coupé Laguna, un discours hallucinant nous est proposé : un homme plutôt bien mis (donc naturellement sujet à auto-identification pour les consommateurs) nous explique benoîtement, non seulement qu’il surconsomme mais qu’en plus, il le fait pour partie par conformisme : « Je l’ai acheté [un écran plat] parce que tout le monde en a un, Je l’ai acheté [un costume] pour le nom sur l’étiquette »… Avec, en point d’orgue, la formule suivante : « Je l’ai acheté [mon coupé Laguna] parce qu’il me plaisait » Jouer ainsi sur la fibre (et la fièvre) consuméristes, a fortiori dans le contexte actuel, cela amène la réflexion suivante : une frange du marketing hexagonal va droit dans le mur. Pour responsabiliser davantage les satrapes et les stratèges, faut-il réduire les parachutes dorés… ou instaurer de nouvelles formes de crash tests ?

mardi 2 septembre 2008

Pleine lucarne

« Là où le sport se vit ». Le Petit Robert a beau vanter sur affiches et papier glacé, comme chaque année, l’utilité de sa nouvelle édition, le mot stade n’a guère a priori besoin de définition supplémentaire. De fait, en cette rentrée médiatique, politique, économique mais aussi sportive (Beijing 2008 était une pastille), il ne s’agit pas de stade mais bien de chaîne de télévision : par sa nouvelle signature, Canal Plus s’attelle à défendre l’expérience présumée ultime du sport via l’écran TV tandis que dans le même temps, la ligue de football professionnelle (LFP) invite à aller au stade, par définition véritable creuset expérientiel. On ne voit plus le foot ou le rugby, on le vit. La bataille de l’expérience fait donc rage, une fois encore. France Télévisions affirmait déjà dans une manière absolutiste être « le plus grand terrain de sport ». De son côté Orange, souverain magnanime nouveau détenteur des droits TV du championnat de France de football, joue l’œcuménisme en faisant le pont entre le devant et le derrière de l’écran : « Nous sommes tous supporters », clame l’ancien partenaire de naming de la Ligue 1. Car l’intention est perverse : Orange, comme Canal Plus naguère, vante un double spectacle : allez au stade, mais pas trop… Regarder la TV est tout aussi salubre, c’est même… encore mieux ! Le média, c’est-à-dire la médiation, l’intermédiaire entre le réel et le regardant, devient plus fort que le réel lui-même. On ne donne plus dans le quantitatif – tout montrer pour tout voir – mais dans le qualitatif : montrer différemment pour vivre plus. N’en jetez plus, la petite lucarne est pleine.

lundi 28 juillet 2008

Infidélités

« Soyez infidèles, changez de quotidien ». Cette injonction à tiroir, davantage audacieuse que foncièrement volage, risque d’avoir mauvaise presse. Elle est pourtant l’oeuvre d’un journal : Aujourd’hui en France. Plutôt que de fidéliser le consommateur à tout crin, on loue son infidélité – un comble. On le caresse dans le sens du poil en tachant de coller à son côté zappeur. Une démarche non dénuée de panache mais qui se révèle singulièrement piquante venant d’un titre nommé « Aujourd’hui en France ». En matière de dynamisme, on a vu mieux qu’un ancrage dans le local et une référence au moment présent. A moins que le propos relève d’une ironie sulfurique. Aujourd’hui, en France : ce sont le hic et nunc et le nombrilisme ensemble encensés. Carpe Diem, encore et toujours. L’avenir et les affaires du monde attendront.
Cette communication désinvolte resterait toutefois anecdotique si elle ne trouvait pas un écho immédiat dans « l’échangisme en toute liberté » dont la pratique nous est proposée dans le même temps par IKEA : en apôtre du « changer tout » (précédente signature), l’enseigne suédoise nous invite lors d’une nouvelle campagne à changer d’avis plus qu’à son tour sur le choix d’un matelas. Dans une ère où l’individu troque ses convictions – consuméristes ou citoyennes – avec autant de naturel que des bouts de bois dans Koh Lanta, le postulat de départ prête peu à la contestation : dans le relativisme ambiant, la versatilité incarne paradoxalement la nouvelle stabilité, c’est-à-dire la valeur pivot, la constante contemporaine.
En revanche, s’agissant du message induit – oser changer de partenaire, fût-il en mousse et à ressorts, à sa guise et au débotté – on est nettement plus perplexe. La référence à l’échangisme et à la liberté a de quoi surprendre : car est-ce nouveau ? N’est-on pas libre, aujourd’hui, de s’adonner à cette pratique ? Certaines arènes médiatiques vous transforment même en hôte de choix pour en être, ou en avoir été. Surtout, peut-on parler d’un tabou pour qualifier un phénomène qui, au moins dans certains sphères, relève d’un effet de mode ? En d’autres termes, les deux messages symétriques d’Aujourd’hui et d’Ikea, censés capter l’attention, peuvent-il se prévaloir d’une rupture et donc d’un impact réel ? On aurait davantage attendu ce type de créations dans les années 90. Mais en 2008 ?
« Soyez fidèle ». « Ne changez rien » : gageons que de tels messages auraient une capacité autrement plus forte à faire émerger une marque, au regard du contexte actuel. Le recours aux références licencieuses est une antienne de la création publicitaire, la question est de savoir où réside la subversion. On a beau être pubard, il serait bon, parfois, de faire des infidélités aux vieilles recettes.

vendredi 18 juillet 2008

Liberté chérie

L’expérience Betancourt reflue doucement au rythme des vagues estivales, quelques mois après l’événement Clara Rojas (patronyme totalitaire puis définitivement tombé dans l’oubli qui mériterait, pour la forme, un sondage de confirmation auprès de nos compatriotes). Détenu et maltraité pour ses idées : pour des individus occidentaux lovés dans le confort et délestés des idéologies comme des idées, la fascination pour de telles expériences est évident. Au-delà de la compassion et de l’indignation, il ne serait pas excessif de parler d’attrait. Victime light, prisonnier mais libre dans sa tête : et si l’otage était le héros post-moderne par essence ?

Histoire de liberté encore avec la sortie de Into The Wild en DVD. Succès étonnant pour ce film, cinquante ans après le roman Sur la Route de Kérouac, où le désir d’aventure était légitimé au regard du contexte (les années 50-60 et les pesanteurs sociales à l’œuvre). Aujourd’hui, tout a changé : jamais l’individu n’a joui d’une aussi grande liberté potentielle. Jamais les conventions de tous ordres n’ont été aussi ténues. L’aventure est au coin de la rue. Oser changer de vie, oser vivre ses vies, sa vie tout simplement. Nul besoin pour cela d’arpenter les frontières ni de chasser les marges. La notion de pionnier elle-même est vidée de son sens, la faute à un exotisme géographique devenu très relatif. En somme, l’aura dont bénéficie Into The Wild ne traduit-elle pas moins la sanctification de la liberté que son refus pur et simple ?

mardi 15 juillet 2008

Ivresse des (hauts) plateaux

« Le plaisir, intensément ». Nous ne sommes pas dans un parc d’attractions, ni au volant d’un coupé sport. Point question ici de luxe, de délicatesse et d’ivresse… Nous sommes chez Flunch. La signature de l’enseigne de cafétérias, lancée il y a déjà plusieurs mois, rayonne sur les écrans estivaux en versant allègrement dans l’hyperbole expérientielle. Tout sauf une erreur, tout sauf un hasard. Alors que la concurrence affirme de façon rationnelle que « ça ne coûte pas plus cher de bien manger », Flunch rompt avec l’imagerie tayloriste de la cafétéria. L’enseigne aurait pourtant pu rester sagement pelotonnée dans le courant hygiéniste avec son précédent mot d’ordre « Manger varié, c’est bien meilleur pour la santé. » Au lieu de cela, elle s’attache à proposer un contenu émotionnel, dans la lignée des tentatives des distributeurs, industriels et restaurateurs pour rendre les repas et leur cohorte de denrées raisonnées plus amènes. Avec en tête de menu les légumes, dont les couleurs acidulées et les formes baroques attestent de leur vocation de bonbons post modernes. Mais l’intensité ! L’intensité dans une cafétéria est déjà un concept en soi, tant l’idée semble audacieuse pour ne pas dire un tantinet incongrue. L’intensité, l’expérience rare, l’exclusivité sont des notions lourdes, traditionnellement cantonnées à des univers spécifiques (le luxe, le high tech notamment). Précisément, l’intensité est ici décisive car c’est elle qui confère la dimension d’expérience au moment Flunch : ce dernier aurait pu n’être qu’une somme de petits plaisirs pluriels – c’eût été déjà beaucoup – mais cela va bien au-delà. Le plaisir, ici, est unique et avec un grand « P ». L’expérience, de la qualité produit jusqu’à l’environnement de consommation et au cadre médiatique, a une vocation totale et holistique. Sans doute est-ce cela que l’on nomme servir le plaisir… sur un plateau.

vendredi 4 juillet 2008

Agorafolie

Panem et circenses. Du pain et des jeux. L’expression a étonnamment bien vieilli, mais les agoras ont pris le pas sur les arènes. A preuve, le site de « journalisme collaboratif » AgoraVox qui a annoncé il y a quelques jours sa transformation en fondation, coïncidant avec une étape majeure dans son développement et une inscription définitive – si besoin en était – dans le paysage médiatique et social.
La communauté comme catalyseur de la pensée individuelle, telle est la forme de circonstance. Le CtoC, qu’il soit consumériste - Consumer to Consumer – ou citoyen - Citizen to Citizen - est politique dans tous les cas : la collaboration s’impose comme la nouvelle figure de l’organisation sociétale. Les structures verticales traditionnelles – les institutions (politiques, économiques, financières, médiatiques…) – se retrouvent concurrencées par les structures horizontales nouvelles dans une sorte d’homéostasie informationnelle. S’agissant des medias, Agoravox occupe une place un peu à part : les sites Scoopeo, Digg et autres Del.icio.us sont surtout dédiés au classement et à la hiérarchisation de l’information. Hiérachiser, c’est certes indéniablement faire l’info (basiquement, consacrer trois sujets de deux minutes à un événement en début de JT et le traiter en un reportage en milieu de journal, c’est quoi qu’on en dise, proposer deux visions différentes du monde). Or, Agoravox offre la possibilité non seulement de faire mais de fabriquer ex nihilo l’information.
Le site envisage la création d'une "Société des rédacteurs", en écho au développement jusqu’à lors des « rédacteurs amateurs », manières de GO de l’information et de la pensée. Ainsi, grâce à Agoravox, le dilettantisme se structure et s’officialise avec comme projet de généraliser le principe des « enquêtes participatives » (sic). Il serait aisé d’ironiser : imaginons que des citoyens soient invités à mener des enquêtes judiciaires participatives, voire pourquoi pas, à effectuer des opérations chirurgicales participatives. Des cris d’orfraie surviendront à cette seule évocation, l’expertise et la compétence n’étant, a priori, pas solubles dans la communauté.
Est-ce à dire que le journalisme ne constitue pas lui aussi une expertise, avec ses pré-requis, ses techniques, ses procédures, ses codes, ses process ? Nier la subjectivité du journalisme est une erreur et un contresens. Mais nier le caractère professionnel et donc l’expertise liés à ce secteur est une méprise tout aussi lourde. Ce n’est pas parce l’information objective est une chimère que l’information individualiste doit devenir la règle. A fortiori dans le contexte présent, où la maîtrise de l’information s’avère décisive.
Qu’Internet serve le débat public, en permettant de démultiplier et de croiser les expériences, les sources et les points de vue, qu’il rapproche les élites des citoyens, tout cela est non seulement possible mais souhaitable. La co-construction informationnelle incarne toutefois une manière de Rubicon. L’estompement des frontières, des catégories, est certainement un signe fort de la post modernité. Mais du dilettantisme professionnel au professionnalisme amateur, la nuance est à peine moins mince qu’un feuillet virtuel.

mercredi 25 juin 2008

L'Empire des sens

C’est acquis, on n’évoque jamais les trains arrivant à l’heure. La ponctualité ferroviaire est pourtant pleine d’à-propos, surtout lorsqu’elle contamine le champ créatif : à cet égard, la nouvelle campagne de la SNCF pour TGV – qui confronte l’expérience sensitive du virtuel à celle, sensible, du monde réel – se révèle ambitieuse. Avec en point d’orgue, une signature dont la dimension paradoxale colle parfaitement au paradoxe consumériste : « Plus de vie dans votre vie ». A la croisée parfaite du « vivre plus » (Nouvelles Frontières) et de « la vie, la vraie » (anciennement Auchan). Le mot d’ordre : plus de vitalité, bien sûr, mais aussi plus de véracité. L’authenticité et l’intensité se trouvent intimement corrélées, mieux : l’intensité EST l’authenticité. Hume ou Heidegger occupent sans doute une part réduite dans les bréviaires des planners publicitaires, on flirte pourtant avec une philosophie empirique de la consommation. Et la campagne de suggérer : « Et si vivre en vrai était la plus belle des expériences ? ». Pour vivre mieux, il faut vivre, pour vivre, il faut vivre plus. Entre truisme et aporie, la tyrannie du bonheur trouve une déclinaison nouvelle dans l’aspiration expérientielle. De l’industrie, la SNCF est passée au service, elle bascule désormais – au moins dans la communication – dans l’expérience. Accélération et raccourci fulgurants eu égard à l’historique de l’entreprise. En bonne marque média, elle propose du flux et du contenu. De service transitoire (rallier un lieu) elle verse dans l’expérience transcendante, obnubilée par le moyen elle se recentre sur la fin. Même dans le consumer insight, la SNCF prend le temps d’aller vite.

mercredi 11 juin 2008

Ecran total

60 millions de directeurs de chaînes. Vouer aux gémonies le contenu des programmes TV est un sport national. Cohérence cynique ou hasard piquant, ce sont les fournisseurs de contenants qui entament une marche accélérée vers la platitude absolue, via les téléviseurs plasma, LCD et désormais OLED. Platitude physique paradoxale car jamais les fabricants n’ont souhaité donner autant de relief à leurs produits : voir est dépassé, il faut vivre. La grammaire du marketing se veut totalitaire, tous les verbes étant passés à la moulinette de l’expérience. Dans les produits bruns, l’innovation a toujours été centrée sur l’optimisation de l’expérience mais dans un processus partiel, sérié : tel fabricant vantant une image plus pure, qui un son plus net, qui des couleurs plus franches, plus contrastées, plus variées. L’efficacité technique prévalait par rapport à l’expérience holistique. Seul le Home Cinéma proposait une véritable expérience, précisément de par sa nature multiproduits. Désormais ce soucis expérientiel est décliné au sens absolu, dans une recherche synesthésique. Le bénéfice unique tombe progressivement en désuétude. C’est encore et toujours une expérience que l’on promet au consommateur. Au point que, comble du raffinement à l'image de la dernière gamme de téléviseurs Philips, le focus soit mis moins sur l’écran que sur… le cadre, ici luminescent et protéiforme. Le primat du contexte : ce dernier précède et préempte le texte, le hors champ avale le champ. La marge est le nouvel eldorado. On soupçonnait que le produit était dépassé, il l’est désormais dans toutes les acceptions du terme.

jeudi 29 mai 2008

L'offense de l'art

C’est l’enfance de l’art. Avec Tousdesartistes.com, HP avance ses pions sur un terrain de jeu dont la dimension stratégique tient désormais de l’évidence : le partage des contenus multimédias – qu’il soit strictement ludique ou, comme ici, prétexte à un concours – constitue le nerf de la guerre communautaire qui mobilise l’énergie des marques et des médias. Ou de l’écrasante majorité des entités qui ne sont plus aujourd’hui ni l’une ni l’autre, ou tout à la fois. Ainsi le fabricant leader de l’informatique grand public flatte les egos en lustrant la fibre artistique censément ancrée en chacun de nous. L’antienne de la TV réalité est connue : tout le monde peut devenir un artiste. Tout le monde EST un artiste, surenchérit HP.

Le statut de l’art – cette manière d’expertise des dilettantes, tant l’art est la capacité à formuler les (bonnes) questions plutôt que les (mauvaises) réponses – le statut de l’art donc, est remis en cause. En amont de l’explosion des ventes d’appareils numériques et des mini-imprimantes afférentes, en écho à la fulgurance de la résolution moyenne des caméras sur mobiles, se tient l’individu et son désir de poser un regard sur le monde. Un regard nécessairement unique et dont la valeur se jauge à cette unicité même. Philippe Starck en personne le clame : « Personne n’est obligé d’être un génie mais il faut participer.»1 Avec force et, il faut le dire, une beauté certaine, le designer laisse entendre que le devoir de tout homme est d’avoir une vision. Chose aisée quand on est soi-même porté par le génie et par une capacité visionnaire effective et affective.

Las, la profusion des images personnelles, l’avènement de ce qu’il faudrait nommer un art généralisé et démocratique, masquent mal le vide qui les sous-tend. Ainsi les créations proposées sur le site (photos, vidéos, peintures, dessins), par delà leur hétéroclisme, par delà leurs qualités éventuelles, sont déconnectées d’une démarche artistique au sens pur. L’art n’est pas uniquement une question de technique mais d’idée, de concept. Entre la bonne idée, sympathique, et l’idée tout court (qu’il s’agisse d’une idée au sens philosophique, d’un message ou d’un apport stylistique), il y a un monde. On peut bien chanter et être à mille lieux du statut de chanteur. De fait, le quart d’heure de célébrité prophétisé par Andy Warhol a fait long feu. Dorénavant, l’aspiration à la reconnaissance porte non plus sur l’existence mais sur le talent. Je peux donc je suis. Avec ceci de cocasse que le dilettantisme devient l’expertise absolue. On s’improvise photographe, on s’improvise même journaliste si l’on a la chance (sic) de se trouver dans une zone touchée par une catastrophe, naturelle ou politique. L’œil encensé, le geste adoré, le témoignage sanctifié… L’individu, quel chef d’œuvre !

1 Source : IDEAT n° 6O

vendredi 16 mai 2008

Les ombres de la transparence

Une musique disco, des décors aux couleurs vives et des petits personnages aux faux airs de Playmobil animés, le tout entre une mine d’uranium, le cœur d’un réacteur et le duveteux parquet d’un appartement tous réduits à l’état de jouets. Ainsi va Areva, qui irradie depuis de nombreux mois les ondes de ses propres ondes pédagogiques et ludiques : une démarche somme toute légitime pour un acteur d’un secteur nucléaire – voire, plus largement, énergétique – nimbé de toxicité médiatique. De son côté, Intermarché décortique le temps d’une campagne aux accents cartoonesques le process de fabrication de ses produits de marque propre, via ses usines qui le sont tout autant, ou encore la fraîcheur de sa marchandise, incarnée par des pêcheurs enjoués au milieu de vagues crayonnées et animées.

Dans le mælström des informations commerciales, la pédagogie a du bon. Et la fraîcheur du ton est a priori peu nuisible. Elle interroge pourtant : faut-il verser dans l’infantilisation pour traduire une supposée transparence ? Le pédagogisme n’entraîne-t-il pas une simplification excessive ? Nous sommes dans le diktat de la clarté, le curseur est poussé toujours plus loin sur l'échelle de la transparence. On achète désormais avant tout une éthique, une confiance, une transparence. Une attitude qui contraste avec la période précédente : pendant des décennies, le marketing prospérait sur le concept de la boîte noire, via une croyance absolue et aveugle dans les process industriels. La marque était un totem et la promesse du produit relevait de la pensée magique. Désormais, face à la peur de la mystification, prévalent le sérieux de la marque, le rationnel de la démonstration et le primat de la confiance. Le marketing de la promesse puis celui de la preuve ont cédé le pas au marketing de la démonstration et de l’engagement. Les mentions et les labels ne suffisent plus, c’est tout le process qui passe au scanner du consommateur paradoxal.

Etrange mouvement, en effet, de la société de consommation qui subit concomitamment un désenchantement méthodique – les marques doivent rassurer – et un ré-enchantement forcené – les marques doivent faire rêver. Cela peut donner naissance à des communications décalées, où le ton – excessivement enjoué – tend à desservir un propos qui se veut crédible. Tout montrer, c’est ne rien montrer.

mardi 29 avril 2008

Home sapiens

Parmi les annonceurs dont la communication fait florès, Ikea fait mieux que sauver les meubles. L’enseigne scandinave est réputée pour surprendre : le métro londonien est une occasion de le vérifier à nouveau. De fait, quel meilleur endroit pour faire la promotion de la stabilité, de l’intimité et du confort qu’un symbole de mouvement, de froideur et de relatif inconfort ? Point question ici d’affichage publicitaire mais d’un étui pour cartes de transport magnétiques aux couleurs – fort impactantes, évidemment – de l’enseigne, d’apparence triviale et arborant un « Home is The Most Important Place in the World » (La maison est l’endroit le plus important sur Terre). La force est, comme toujours, dans le concept : coller à l’individu dans ses moindres déplacements. Dans ce contexte, sortir sa carte et apposer son pass sur une borne électronique relève d’un réflexe reptilien : l’ancrage de la marque et de l’insight n’en est que plus profond.

Sur le fond, le message revêt une audace certaine à l’heure où les vicissitudes du monde nous imposent de garder plus que jamais l’œil rivé sur la planète. Ikea ne s’embarrasse pas de compassions plus ou moins feintes et réaffirme la prééminence de l’individu sur la collectivité, du privatif sur le collectif. Alors même que l’ouverture aux autres est érigée en impératif catégorique jusque dans la conception des habitations – le fameux concept de hiving, opposé au cocooning réflexif et introverti – la firme suédoise revendique puissamment une sanctuarisation de l’espace domestique. Dans sa vision nouvelle, « les maisons ne sont pas faites simplement de mortier, de briques et de murs. Une maison, c’est de l’émotion – un sentiment de sécurité, de quiétude, de confort, le fait de pouvoir être bien, de pouvoir être soi et entouré de ses proches » L’émotion, nous y revoilà. Le moyen et la fin. Le moyen de transport, le moyen de communication, la liturgie individuelle, le lien au produit, le lien entre les consommateurs. Une jolie ritournelle nordique où l’home sapiens, loin des frimas du marketing push/pull, se chauffe aux vibrations de la marque affective et aspirationnelle.

samedi 19 avril 2008

Tout un programme

Mois d’un an après le lancement de ses premiers ordinateurs portables aux coques ultra colorées, Dell lance ces derniers jours une campagne pour promouvoir ses nouveaux PC Inspiron flashy, qui vert pomme, qui jaune citron, qui rouge cerise… En apparence, l’aura renouvelée des Seventies et la vitalité actuelle du courant pop – notamment dans le design– relativisent la puissance de la démarche. Toutefois, le patron du géant américain le confesse lui-même, l’essentiel est ailleurs : l’objectif est de créer davantage de lien avec le client. La bataille du service engagée depuis la fin des années 90, dans une myriade de domaines et plus encore dans l’informatique, a fait des dégâts entre les titans du secteur, de même que celle, menée en parallèle, de la personnalisation. La dernière campagne HP annonçait : « The computer is personal again » (l’ordinateur redevient personnel), mais là encore, par-delà la performance produit, la qualité de service, la customisation, l’innovation, la prime de marque s’est déportée vers le lien. Comme aimantée.

De la personnalisation univoque, on passe au contrat réciproque. Quelle relation la marque tisse-t-elle avec moi, quelle vision a-t-elle de son secteur voire du monde en général ? Jadis (si l’on considère l’accélération et la complexification phénoménales des tendances consuméristes), la consommation était intégratrice, il s’agissait de faire comme tout le monde. Aujourd’hui, la consommation est revendicative, il s’agit de s’affirmer. Auparavant la consommation était vitale, désormais elle est existentielle. En enduisant ses machines d’un vernis acidulé, Dell s’attache à reconquérir le champ du relationnel préempté par Apple. Qui sera la plus proche de moi ? Qui saura aller au-delà de l’offre et du service pour me proposer du lien, de la chaleur et des valeurs auxquelles je daigne adhérer ? Tout un programme. Vous avez dit politisation de la consommation ?

vendredi 18 avril 2008

Green is beautiful

Vertiges de l’éthique. Elle a déferlé naguère sur la politique, elle contamine désormais le marketing et la consommation. De l’énergie à l’automobile, des produits blancs aux ampoules des équipementiers de la maison, des micro-bidons aux tablettes des lessiviers, le « Green Power » s’affiche et s’affirme désormais partout sur nos écrans. Si l’on comprend la nécessité du passage sous les fourches caudines du développement durable, on peut s’interroger sur ce qui reste de la plus-value de marque et sur l’utilisation faite de l’argument écologique. Car est-ce un argument ?

L’interrogation est brutale et pourtant : pour incontournable qu’il soit, l’imp
ératif écologique peut prendre des allures de tarte à la crème dès lors qu’il est sous-exploité. Certes, dans une époque frappée au sceau de l’éthique, les marques sont sommées de remplir leur part de contrat en termes de vision : le consommateur n’attend plus la marque sur le seul terrain des bénéfices – concrets ou abstraits – mais sur sa vision, son engagement. Las, nombre d’entreprises semblent témoigner d’une capacité de réaction davantage que d’action en la matière, en donnant le sentiment de s’adapter à des contraintes plus que de les avoir anticipées. Dans ces conditions, voir les marques (ré)affirmer tour à tour leur engagement écologique laisse perplexe : se prévaloir d’une éthique dans un élan récent autant que grégaire, on a vu plus audacieux et, pour le coup, plus responsable. La grande distribution, Carrefour en tête, n’a d’ailleurs pas tardé pour promouvoir ses propres produits verts, à prix distributeur cela s’entend, relativisant encore la plus-value verte mise en avant par les industriels.

De fait, la question de la prime de marque se pose en regard de l’innovation : jusqu’où pousser l’intégration du facteur vert ? A moyen terme, on imagine en effet que les produits non verts seront ultra minoritaires : être éco friendly ou éco responsable ne peut donc guère constituer matière à différenciation. Forts de ce constat, Toyota et sa Prius ont renversé l’axiome en faisant du primat écologique non pas une contrainte mais un catalyseur, non pas une donnée supplémentaire mais une nouvelle base stratégique, une plateforme d’innovation. Précisément, n’est-ce pas la responsabilité d’une (grande) marque de concevoir un développement non seulement durable mais à valeur ajoutée ? Pour l’homo consumerus, la marque n’est plus un simple repère depuis longtemps, elle doit être une ambition. La différenciation par la vision, voilà un défi écologique mais aussi économique et, au fond, véritablement éthique.

vendredi 11 avril 2008

Mai 68 2.0

Les institutions ébranlées, remises en question, la rigidité mise à mal, l’autorité renversée, la verticalité bousculée : les ondes médiatiques frémissent au souvenir de mai 68. Qu’en reste-il aujourd’hui ? Telle est l’interrogation phare qui sous-tend les commémorations du quarantième anniversaire d’un mouvement – faut-il le rappeler – au moins autant économique et social qu’étudiant et de portée sociétale. On parle donc héritage. De sa réalité et de sa profondeur. Interrogation étrangement réductrice : doit-on parler bilan… ou succession, voire revitalisation ? Ce tsunami printanier relève-t-il d’évocations surannées ou, au contraire, d’une modernité aigue ? Le romantisme – et donc la mise à distance – qui nimbe cette période témoigne d’une prévention, d’une frilosité voire d’une négation du réel étonnantes.

L’institution, l’autorité, l’expertise, la hiérarchie, autant de concepts qui, à l’ère du Web 2.0, subissent en effet un coup d’état permanent : à travers le développement de la médiation, de l’horizontalité et le couronnement de l’individu roi, n’assiste-t-on pas à une mise à jour en bonne et due forme du logiciel mai 68 ? Les toges professorales clouées au pilori il y a quarante ans, ne sont-elles pas à nouveau foulées symboliquement par les avis de note2be.com et par les parents remettant en cause la légitimité autoritaire et magistrale ? La RTT est-elle autre chose qu’un élargissement du temps individuel et une conquête supplémentaire de liberté présumée ?

De même, l’interdiction d’interdire n’est-elle pas chevillée au corps de l’individu post moderne qui, par essence, se veut unique et dont le point de vue vaut, censément, autant qu’un autre ? Chacun revendique ses potentialités, quiconque les nierait s’exposant à la vindicte. TF1 a baptisé sa plateforme de partage multimédia WAT – We are talented. A l’heure de l’ego casting, des gratuits, de wikipedia et de ses innombrables émules, les contenus médiatiques convergent dans la volonté individuelle. Le pavé, délaissé par la plage, redevient un motif à la mode : on est plus que jamais dans la… co-construction et la co-production. L’époque célèbre le « à la carte », le one-to-one, le Consumer to Consumer : le marketing est lui-même inféodé au mouvement. En somme, Narcisse comme matrice et comme mythe structurant a encore de beaux jours devant lui. 69, année érotique ; 09, année égotique ?

mardi 8 avril 2008

L'individu surexposé

Les lumières d’Art Paris 08 se sont tues. A mesure que les marchés émergent et que l’individu se déploie aux antipodes (ou à mi-chemin), la connaissance des cultures et les éventuelles convergences avec l’Occident (les Occidents ?) se font jour grâce à l’Art : ainsi la Chine, en force, les pays arabes, également à l’honneur, mais aussi les Etats d’Europe de l’Est donnent à voir leurs préoccupations sociétales, sociales et existentielles. Et si l’on est perplexe face à la relative immaturité de certains thèmes dominants (englués dans le post-maoïsme ou le spectre de la culture américaine fatale et omnipotente), la thématique individuelle demeure un fil rouge opérant. Vue par le prisme de ces régions neuves (à nos yeux), elle acquiert même une fraîcheur inédite. Ainsi l’on peut, en un bref aller-retour subjectif, balayer trois propositions : de la France à la Chine en passant par la Roumanie, trois visions de l’individu nous ont été proposées.

La Française Clarisse Doussot colle au plus près : des UV au rayonnement de néon commercial, agressif même sur une toile sans relief, notre propre rétine qui grésille. Un zoom sur une aire de peau, à la fois clinique et sensuel. D’ailleurs l’œil hésite – faut-il admirer les courbes ou déceler les prémisses d’un mélanome ? Transpercer ou caresser ? Est-ce une image de plaisir ou de souffrance ? Un comportement salubre – l’apparence raisonnée – ou déviant – la beauté érigée en culte ? Une beauté en souffrance et la souffrance en beauté.

L’Orient, lui, se place à distance : deux interrogations, deux efforts de distanciation – physique, esthétique et thématique : avec le Roumain Serban Savu, héritier d'Edward Hopper, dont la mélancolie frappe et contraste avec la béatitude des critiques consuméristes, qui dépeint le prosaïque, l’isolement. Autour de la frêle et étrange beauté des figur(in)es de Wing Danwen, c'est la matière urbaine qui envahit les visuels comme une jungle. Les décors semblent faits de carton pâte, les silhouettes réelles posées dessus. Qui bénéficie de la prééminence, du surcroît de réalité : l’urbain ou l’humain ? Quelle influence de l’urbain hyper moderne sur le réel et sur les relations ?
En matière de questionnement individuel et individualiste, l’art peut être nécessaire, voire vital. Il est ironique que des pays marqués au fer rouge (dans toutes les acceptions du terme), nous le rappellent avec tant de recul et d'à-propos.

mardi 1 avril 2008

Terminus : la marque

La RATP sait cultiver son réseau. Et s’attache à le montrer par le biais d’une campagne TV fraîche émoulue. La régie a pour ambition de faire coup double : dynamiser voire dépoussiérer son image et bâtir une identité de marque, en ligne avec son expansion à l’international, histoire de réduire le fossé entre certaines perceptions et une réalité économique flatteuse.

Sur la forme, force et poésie s’imposent : on est dans un registre corporate que ne renierait pas une entreprise de media et de communication. A l’« Open » tant de fois martelé répond un « Aimez la ville ». Sauf que, précisément, le film de la RATP nous donne à voir un individu isolé, non plus souverain mais décontenancé, dépassé par un environnement urbain trop réel, trop multiple, trop sensitif. Un réalisme salubre par rapport à la maîtrise voire la soumission des espaces modernes, vantée de manière quasi systématique dans les publicités pour l’automobile, le sport, la mode, la communication. Une modernité qui rompt aussi avec l’angélisme du vivre ensemble, comme orthodoxie et comme injonction paradoxale. (On garde en mémoire la scène surréaliste, chez Orange, de cette foule de silhouettes cravatées, prise d’un accès de philanthropie fugace, hurlant de concert pour faire cesser le hoquet d’un pauvre quidam).

« Profitez du plus grand réseau réel », nous enjoint le spot. Sur le fond, un message centré sur les rapports de l’individu au motif du réseau constitue un positionnement de marque on ne peut plus actuel. La promesse, féconde, demeure toutefois à double tranchant, le réseau virtuel étant – au moins en théorie – à l’opposé du réseau de transports en termes de rapidité, de fluidité, de souplesse – on effleure même l’anti-modèle ! On regrettera surtout le caractère vague de cette promesse de jouissance (transposé dans le dédale d’une grande surface, ce pourrait être un hymne à « La vie, la vraie », prônée naguère par un grand distributeur). A propos de réalité, reste à savoir si l’un des symboles du collectif et de la rigidité parviendra à se muer rapidement en allégorie de l’efficacité individuelle. Ou comment opérer la transition entre une offre (ou un produit) et un service. La construction d’une marque forte est à ce prix.

lundi 24 mars 2008

Les promesses du lien

Retour sur expérience(s). La Wii de Nintendo continue de décliner allègrement son programme de la « vie réelle » : après le jeune couple accro au tennis, la bande d’adolescents, le couple de séniors, voici de nouvelles saynètes publicitaires : le grand père et son petit-fils - motif longtemps préempté par les bonbons au caramel d’exception - et la bande de quadras qui joue le destin d’une soirée sur une partie de bowling. Les spots proposent une mise en situation systématique et on ne peut plus prosaïque : un séjour, un canapé, une poignée de protagonistes. Pourtant l’évidence n’est que de façade, comme l’illustre un détail tout aussi récurrent : la caméra filme majoritairement non pas de dos mais de face. Les joueurs sont le vrai spectacle.

Mais quel spectacle au juste ? Celui du relationnel en action. La Wii a beau célébrer le sans fil, elle crée du lien. Elle est bien plus qu’un produit, elle est plus qu’une marque : elle est un média. Avec elle, on n’acquiert pas une console et des jeux, on n’achète plus un divertissement ludique : on achète du lien, à l’image de ce grand-père volant au secours de son descendant emprunté face au fairway virtuel. On délaisse la transaction pour la relation. Le jeu vidéo se réaffirme en tant qu’expérience partagée, il s’inscrit dans un contexte expérientiel et sublime ce dernier.

Alors que la concurrence, Xbox et PS3 en tête, rivalisent sur le terrain du réalisme, en se focalisant toujours plus finement sur le mimétisme avec le réel, le parti pris de Nintendo est de mettre en lumière moins l’offre que le contexte. L’objectif majeur n’est pas d’avoir l’illusion de faire du bowling, mais d’éprouver les sentiments que l’on éprouve lors d’une soirée de bowling entre amis. Pas d’être un professionnel - promesse de base des simulations virtuelles - mais au contraire d’assumer son statut de dilettante. Du coup, la Wii fait plus que se différencier : elle change de champ concurrentiel. Les marques qui savent et sauront se placer sur le terrain du lien vont prendre un avantage décisif. Car là se joueront certaines batailles dans les années à venir. Pour se dé-marquer et se faire re-marquer.

jeudi 20 mars 2008

Tristes tropiques

Il y eut les voyages collectifs et organisés. Puis les séjours à la carte, individuels et spontanés. De plus en plus lointains au gré des avancées technologiques et logistiques. De plus en plus fréquents à l’image de la place des loisirs dans nos existences. Mus par le désir d’expérience et de renouvellement permanent. « Vivre plus », comme nous y invite un voyagiste. Comme si la clé d’une vie réussie était un tour de monde sous tous les angles, pour surtout ne rien rater. Dans vitesse, il y a vie. Tout embrasser, sans attendre. Et la notion d’exotisme d’être sérieusement remise en cause : désormais, aucun lieu n’est plus inaccessible, ni n’exige une longue planification préalable. On rallie Bali presque comme La Baule. Presque plus de distance, presque non plus de distanciation.

Les medias eux-mêmes rognent l’exotisme en nous abreuvant de reportages aux images si parfaites que le réel frôle parfois le déceptif. On part pour vérifier, plus pour découvrir. Moins pour se confronter que pour se conforter. Non plus pour se perdre mais pour se retrouver. Avec Google Earth, un nouveau coup de butoir fut porté à l’Ailleurs : derrière l’écran, quarante siècles vous contemplent. Le désert chilien comme la Grande Muraille à vol… de souris.

Après Google Earth, voici venir d’autres paysages, d’autres reliefs, d’autres climats et couleurs : le site Internet Visible body offre une cartographie sous toutes les coutures… du corps humain. Et permet une exploration exhaustive et en 3D de ce dernier, de l’épiderme aux entrailles. Si on tenait là l’exotisme et le raffinement suprêmes ? D’abord via une auto-introspection, une fascination égotique et narcissique enfin menée à son terme, enfin incarnée (au propre comme au figuré). L’exotisme appliqué à soi-même. Ensuite et surtout parce que le voyage intérieur fait résonner les pérégrinations extérieures : le corps, comme le monde, ces inconnus familiers. Si proches que nous croyons les connaître. Avec Visible Body, nous sommes invités à (ré)interroger l’évidence. Une perspective à méditer pour le touriste post moderne : derrière le vernis d’expériences fugaces, sériées et multipliées, on cultive une expérience, un sentiment du monde. Mais la connaissance, de soi et de l’Ailleurs, est aussi affaire de profondeur.

jeudi 13 mars 2008

Garde à vous

« C’est bien parce que c’est vous ». L’enseigne Casino susurre et rassure ses clients et ses prospects, via une formule au message à n’en point douter aguichant : c’est bien parce c’est fait pour vous. Allusion à tiroir et à double sens : une offre conçue en pensant à vous, et parfaitement adaptée à vous. Mieux : c’est bien grâce à vous. L’accroche se veut flatteuse et surtout efficace car exclusive. Elle touche au cœur, le tout à l’égo : c’est vraiment parce que c’est vous… Comme pour tout VIP, l’on fait une exception.

L’interpellation directe dans les signatures est une antienne bien antérieure à la vague égotiste. Pour autant, le procédé semble connaître une vitalité nouvelle ces derniers temps. Tantôt cela dénote un recentrage de fond – la traduction d’une vision « consumer insight », tantôt la mise en avant paraît plus mécanique, quasi pavlovienne. Par défaut. Dans tous les cas, réaborder l’évidence ne nuit pas : « Notre plus grande richesse, c’est vous ». « Notre raisonner d’innover, c’est vous. » « Vous le valez bien »… Dans l’industrie cosmétique, énergétique ou les services, le vouvoiement s’impose comme la politesse de l’espoir. Comme si elles avaient fonctionné en vase clos durant des années, certaines entreprises – et non des moindres – redécouvrent l’importance du consommateur. Ce dernier est (re)placé au centre et, partant, mis en exergue dans la signature, elle-même accolée à la marque.

La formule choisie par Casino se révèle particulièrement ambitieuse, en induisant : c’est bien parce que ça vous correspond, que cela colle à vos attentes. Venant de la part d’un distributeur, la proposition de service est très large. Mais est-ce une ambition réaliste, et surtout pertinente ? C’est – forcément – bien parce c’est vous : en postulant une soi-disant perfection égotiste du consommateur, n’est-ce pas manière de nier sa complexité, ses doutes, ses contradictions, bref précisément son imperfection ? A vouloir flatter l'égo sans nuance, on tutoie les étoiles, mais on joue aussi sur la corde raide.

vendredi 7 mars 2008

Urgences

Le phénomène mérite davantage qu’un post scriptum : après l’affaire Note2be, évoquée ici-même, voilà que l’on annonce l’ouverture le 15 mars 2008 de Note2bib, la version médicale du site d’évaluation publique et nominative des enseignants. Mêmes mobiles, mêmes effets: « Les patients, relate le site en construction, attendent notamment une qualité d’écoute, des explications précises et simplement formulées, une certaine disponibilité… ce qui est loin d’être toujours le cas ». Mêmes critères, pour partie, que ceux mis en exergue à l’adresse des enseignants : écoute, disponibilité, pédagogie. L’efficacité stricto sensu n’étant présente qu’en filigrane.

Le professeur, on l’a vu, est sommé de se muer en fournisseur de liberté. La mission du praticien médical n’est plus seulement de soigner, de guérir mais de donner les clés du bien-être. Le médecin doit partager son savoir, ne plus le dispenser de manière verticale et magistrale. Le statut d’expert est ébranlé, tout devient objet de co-construction, de partenariat. L’information d’actualité comme l’information médicale. Désormais la compétence est dans le lien, non plus dans la distance ; l’autorité se fait inclusive et non plus exclusive. Le médecin devient, au fond, un prestataire d'autonomie - et donc de pouvoir - parmi d’autres.

De son côté, le patient se mue plus que jamais en client, en consommateur, il attend plus de service. Il exige qu’on lui dise pourquoi il est malade. La prochaine étape : un dialogue contradictoire avec son médecin ? La question de l’expertise et de son statut est vertigineuse tant ses enjeux sont lourds et la poussée individualiste forte. Cette dernière innerve le corps social en refaçonnant un nombre croissant de professions. Quelle corporation aura l’heur de passer à son tour sous ses fourches caudines ?

jeudi 28 février 2008

Joint venture

Les histoires belges sont d’ordinaire courtes et drôles. Les histoires belgo-hollandaises traînent en longueur et amènent un rictus. C’est l’histoire d’un projet de « coffee corner », déclinaison en grande distribution des célèbres coffee shops, lancé par l’édile de Maastricht en Hollande. Le permis de construire ayant été officiellement accordé il y a quelques semaines, rapportent les medias locaux. Car il s’agit bien de grande distribution : 2000m², deux étages et un parking de 700 voitures. Ni plus ni moins qu’un supermarché du cannabis. L’affaire est en procès au plan local, préfigurant les querelles à l’échelle européenne alors même que les pays occidentaux vouent aux gémonies la cigarette, et que des rapports d’études démontrent la nocivité égale voire supérieure du joint par rapport à la clope traditionnelle.

Evacuons ces aspects sociaux, politiques et juridiques et lisons les événements à l’aune du marketing. On voit d’ici le nom de l’enseigne - La Foire aux Joints, Le Juste joint, Joints & Travaux - et la signature à l’avenant - Mini prix Maxi joint, I’m Lovin it, Je Positive. Au niveau de l’offre, le hasch MDD concurrencerait les joints de mega brands, qui aromatisés, qui gourmands, qui enrichis en vitamines, oligo-éléments ou omégas 3. Des joints light, fat free, ergonomiques, issus du commerce équitable. Les rayonnages se diviseraient en produits frais, libre-service, conserves, surgelés. On taira, en revanche, les noms des personnalités les mieux à même d’incarner l’égérie de la future enseigne...

Pour les distributeurs et les marketers à l’écoute du pouls sociétal, le produit joint est somme toute idéal de par les valeurs qu’il véhicule : le bien-être à son paroxysme et, au final, le bonheur. De fait, l’avènement de ce projet chez nos voisins serait une remise en cause sérieuse pour les acteurs de secteurs plus classiques, eux-mêmes fournisseurs de moins en moins officieux de plaisir, d’indolence et de facilité. Qu’il s’agisse d’automobile, de banque, d’assurance ou d’entretien ménager. On en oublierait presque, pris dans ces douceâtres volutes, une autre caractéristique saillante du joint : un déclin momentané mais profond de la clairvoyance.

lundi 25 février 2008

Le consommateur dans la peau

Le marketing est-il une science? Passons sur les matrices, grilles d’analyse, typologies, process et prouesses technologiques, cognitifs, sensoriels et psychographiques. Sans outil ni méthodologie, le directeur marketing le plus autiste ne peut nier l’ampleur du phénomène individualiste et de son hypertrophie, et en faire un axe majeur du développement de son offre. Facile donc, a fortiori pour une firme de l’ampleur de Danone, de démontrer par A+B que culte de l’apparence + préoccupations de santé + époque hédoniste = Danone Essensis. CQFD. Las, les scientifiques tant soit peu consciencieux vous alerteront sur l’importance des variables dans toute équation. Car Essensis n’est pas, un an après son lancement, le succès escompté. De stagnations en déréférencements partiels, un ajustement du positionnement produit est annoncé.

Un cas d’école, pour le meilleur et pour le pire. Une rupture marketing, prophétisaient certains experts. Deux coups d’avance, arguaient d’autres analystes. La cosmeto food, la dermo-nutrition, c‘était déjà demain. Le in cauda venenum des pro Essensis étant : ça marchera, Actimel et Danacol ont bien marché ! C’est d’abord mésestimer la force unique des messages centrés sur le métabolisme strictement intérieur. L’artiste contemporain Wim Delvoye a beau jeu de démystifier le Cloaca, la boîte noire de nos entrailles demeure sujet de fascination et d’inquiétude. Que l’on soit nutritionniste ou femme enceinte, n’est-ce pas là l’essentiel ? Le statut de la peau, lui, diffère. C’est l’intime et l’extérieur entremêlés. De nos jours, on a l’âge de ses artères, mais on n’a plus forcément l’âge de sa peau, loin s’en faut.

S’agissant d’Essensis, et sur un plan marketing, c’est le statut du bénéfice qui est interrogé : entre un yahourt qui renforce le calcium des os, aide à la digestion et accessoirement embellit la peau, et un yahourt rose fushia dédié au paraître, la nuance n’est pas diaphane. Paradoxalement, Essensis est sans doute tout aussi salubre pour la digestion qu’Activia. Mais faire d’un produit banal (une crème glacée peut faire rêver, mais un yahourt ?) un réceptacle d’extraversion, un totem égotiste, voilà un Rubicon que les Narcisse de tout poil ont encore quelques réticences à franchir. A moins que l’idée de brandir son exubérance entre la crème fraîche, le petit suisse et la mozzarella ne soit tout simplement pas sexy. Ces temps-ci, les category managers doivent sûrement être à fleur de peau.

vendredi 15 février 2008

Le réseau a ses raisons…

Le secteur éducatif ne pouvait y échapper. Impossible de rester en marge du puissant mainstream individualiste (sic), qui voit le règne du sur-mesure, du « à la carte ». Phénomène sublimé par les potentialités d’Internet, où l’individu acquiert vitesse, ubiquité et anonymat. L’initiative des créateurs du site Note2be.com permettant aux élèves d’évaluer leurs enseignants sur des critères « strictement liés à la pédagogie » (parmi lesquels la clarté, la disponibilité ou encore la motivation) marque un jalon dans la déliquescence du vertical et le développement de la société horizontale. « Prends le pouvoir » clame le site. La communauté (éducative) faisait l’individu, désormais le second régente la première. L’individu détermine ses propres items de satisfaction et use de cette grille de lecture afin d’évaluer son prestataire de services, en l’occurrence l’école.

De fait, un constat s’impose : les enseignants ont changé de profession. Telle une entreprise « switchant » son domaine d’activité pour coller à la réalité du marché. Les profs ne sont plus des dispensateurs de savoir, ils sont des fournisseurs de capacité d’adaptation, d’esprit critique, d’épanouissement, osons le mot : de liberté. « Nous avons peur d'être notés, car les critères choisis par note2be.com ne sont pas pertinents.* » avance-t-on chez les contradicteurs. La pertinence dans ce monde confus et fluctuant, vaste programme !

C’était attendu, l’affaire a quitté le simple débat pour la querelle judiciaire, appréhendée qu’elle est sous l’angle idéologique : la vision libérale centrifuge opposée à la vision républicaine, centripète. Il est pourtant possible d’observer le phénomène de manière froide, dans sa dimension politique élargie. La démarche de Note2be.com est en effet édifiante : ce à quoi nous assistons, c’est moins un choc des cultures que des structures. Le réseau fracasse la verticalité, la volatilité affronte l’institution, les particules individuelles fissurent l’entité collective. Quand la class action s’active dans les classes, c’est la « nucléocratie » (non pas au sens technologique et belliqueux mais structurel, la référence sociétale étant désormais l’individu-atome) qui se met en branle. Au service d’un idéal forcément paradoxal : « Un pour tous et tous pour moi ». Les frontons des écoles n’ont qu’à bien se tenir…
*source : blog de Contrenote2be.com

mercredi 13 février 2008

Télé dell'arte

Les sondages ne mentent jamais. Comme cette étude BVA conduite pour le ministère de la Santé et rendue publique début février. Son but : faire un bilan des messages de prévention sanitaire accolés depuis un an à tous les spots des fabricants de produits gras et sucrés à la télévision. Qu’en ressort-il ? « Une majorité des sondés (54 %) font une confusion entre le sens du message et le produit promu dans la publicité. Par exemple, ils sont 44 % à penser, à tort, qu'une pub pour un yaourt aux fruits accompagnée du message "manger cinq fruits et légumes par jour" signifie que ce yaourt fournit une portion de fruit. Cette mauvaise interprétation est encore plus forte chez les moins de 15 ans. » (source : Le Monde)

La consternation vient moins tant des résultats – si prévisibles quoique spectaculaires – que de l’étonnement relatif qu’ils suscitent. La matrice alimentaire s’est muée en un programme hyper complexe, aux variables hétérogènes et fluctuantes (au hasard : le prix, la qualité, la distribution, la pub, les médias etc.). Dans ce cadre, ce que les gens attendent c’est en priorité de la clarté. Pas de l’assistance, mais de la pertinence. Visiblement peu taraudés par ces constats, les autorités ont choisi d’ajouter une couche au flou artistique et une ligne de code supplémentaire à la fameuse matrice ! Un spot publicitaire étant déjà une communication à plusieurs niveaux, voilà qu’on empile une nouvelle strate d’information, à rebours, qui plus est, de la visée principale du spot. Verdict : la part du public conquis et nouvellement éduqué par lesdits messages, soulignée par l’étude BVA, se trouve largement compensée par celle du public induit en erreur. Effarant usage de la communication publique.

Une fraction non négligeable des sondés déclare bel et bien avoir infléchi ses habitudes. Seules les sorties de caisse pourraient l’attester. Voire. Les nouveaux usages en question portent-ils sur l’achat ou sur la consommation proprement dite ? Ceux qui ont acheté moins, ont-ils consommé mieux ? Manger mieux, c’est supprimer en priorité le gâteau ultra glucosé de 10h ou celui de 16h ? Une barre chocolatée augmentée d’un fruit, est-ce un équilibre ou bien un dérapage ? Une preuve de maîtrise ou un gage de désarroi ? Pris entre le martèlement de messages disparates et l’enclume du coaching à tout crin, le consommateur devient presque héros malgré lui.

Face aux flots des produits sucrés, favoriser les partenariats entre PME et tissu éducatif au plan local, stimuler l’innovation sur les produits « sains », agir de concert avec les distributeurs (à l’image de ce qui est fait pour les produits verts) : voilà le terrain où l’on attendrait l’Etat. Plutôt qu’une communication (et donc une politique publique) digne de Feydeau ou Goldoni, où le quiproquo et roi et l’imbroglio un principe. Par chance le flou transitoire va faire long feu : d’ici la fin de l’année, l’Etat va convertir les écrans pubs du goûter en « No Mars land ». Le consommateur, soulagé, n’en restera pas moins laissé à son sort : arbitrer entre les normes du bien-être.

mardi 5 février 2008

Le chant du sigle

OGM. Organisme génétiquement modifié. Organisme génétiquement « manipulé », précisent certains esprits forts comme pour pallier une faiblesse inhérente aux trois lettres précitées. OGM, organismes gênants pour le ministre, s’esclaffe ce mardi avec une virtuosité déroutante la chroniqueuse d’une grande radio. La force est dans le sigle. Une simplification formelle pour mieux appréhender le réel ? Le minimalisme est un mouvement si puissant qu’après le design du signifié, il contamine désormais celui du signifiant. Un raccourcissement pour quoi faire ? Matérialiser le rapprochement avec un consommateur échaudé ? LCL, MMA ont ainsi compressé leur identité façon César. Boîte noire vidée de sens (ou, cela revient au même, ouvert à toutes les significations) ? La SG, depuis longtemps déjà « siglisée », n'a guère d'échappatoire. L’identité visuelle et sonore du nom a toujours été décisive. A ceci près qu’elle n’est plus désormais un couronnement mais un point de départ.

Ainsi de l’AGV, égrené à foisons et dont l’ouverture phonétique tranche avec la sécheresse du (bientôt, en tout cas ailleurs qu’en France) feu TGV. Le nouveau sigle porté aux nues renferme les promesses d’un renouveau industriel, et sa cohorte de contrats. Puissance ostentatoire de la dénomination à laquelle répond la triste discrétion dont font l’objet d’autres sigles : PME et TPE.
Rimbaud met le bleu de chauffe : en jouant avec les voyelles, le RMI devient RSA et c’est toute la vision du travail qui s’en trouve inversée. Les ayatollahs du LCD font grise mine, l’OLED – offrant des écrans bien plus plats, bien plus nets – pointant le bout du nez. Mais qu’importe l’épaisseur du flacon, pourvu qu’on aie la HD. Et la TNT en prime, censée produire une onde de choc et fragmenter les audiences, fêlant la coque du vaisseau amiral TF1. TNT, une télévision plus quoi ? Quelle promesse, quelle différence derrière ces lettres ? Numérique terrestre : la déception est à la mesure du bruit effectué. On était en droit d’attendre au moins une TV céleste, stellaire et éthérée.
Spa. Ipod. Wii. Par delà le sigle, c’est une large part du lexique qui endure la loi du moindre effort – principe tout à fait officiel prévalant en linguistique et à l’origine des contractions et simplifications successives dans toutes les langues. La tendance est aujourd’hui à son paroxysme : le chant du sigle célèbre l’indolence et le flou de notre ère.

mardi 29 janvier 2008

Avatars de l’avatar

Vichy Homme annonce sur Facebook son nouveau soin hydratant. Sur la bannière en question: les avatars virtuels de vos amis voient leur teint gris magiquement illuminé. L’intention n’est légère qu’en surface, pour toute dire, elle n’est pas uniquement… cosmétique. Dans cette démarche, c’est moins l’intégration visuelle du support par l’annonceur qui frappe, que ce que cela induit au fond : Les Sims, World of Warcraft ou encore Second Life permettent de créer voire de modifier à loisir son avatar. Dans cette filiation, le cobranding entre Facebook et Vichy (Facebook est-il une marque ou un média ? Les deux, l’un parce que l’autre *) l’avatar virtuel est désormais lifté. Convergence étonnante : ce qui nous rend plus artificiel dans le monde réel nous rend plus humain dans le monde virtuel.

Surtout, vertigineux basculement en cours qui remet en question les formes et frontières de l’homo consumerus. L’enjeu pour les annonceurs est-il de toucher le consommateur, ou son avatar idéal ? L’ego et le ça, objet dual d’obsession. Le Net, media immédiat, réhabilite le surmoi. Ledit avatar est-il l’image réelle projetée et le vrai socle des besoins et des attentes ? Le marketing et la communication, naguère obnubilés par l’image inconsciente, émergent enfin de la Caverne. On passe de la réalité fantasmée au fantasme réalisé : le virtuel version 2.0 (et plus si affinités) marque la version updatée du consommateur-image, hologramme concret. Et Facebook de se muer en matrice marketing. En traversant le miroir virtuel, le Néo conso devient ce qu’il est réellement.

Schizophrénie

Milieu lucide et trouble à la fois puisque le medium Internet, selon le dernier baromètre TNS Media intelligence, suscite la défiance de la majorité des Français en matière d’informations délivrées. Délicieux paradoxe alors que ladite information est de plus en plus l’objet d’une co-construction entre institutions médiatiques et citoyens.

Autre bizarrerie : l’Internet ainsi mis à distance regroupe lui-même… la presse et ses sites officiels. Sous la pression des coûts, les rédactions Internet et papier ont, de fait, tendance à être les mêmes. Les 69 % de défiance mis en exergue porteraient donc sur les contenus non contractuels. Logique ? Pas tant que ça à l’aune de l’époque : troublante réaffirmation du désir de médiation, à l’heure de l’immédiateté et des quotidiens gratuits.
La schizophrénie de l’hyperinformation : poker menteur entre le consommateur expert et manipulateur et le citoyen circonspect. L’individu, acheteur dans les rayonnages ou citoyen dans l’isoloir, avance masqué. Un avatar de plus à gérer.


* Le glissement Europe 2 - Virgin Radio illustre une tendance mais pas celle que l'on croit : en effet la grand mouvement à l’œuvre n’est pas la mutation des médias en marques, mais bien des marques en médias (c’est-à-dire, en médiation, en lien, en relation, en communauté, en expérience partagée, promise et sanctifiée).

lundi 21 janvier 2008

Crise de croissance

Le débat fait rage. Tenace comme un serpent de mer, confortable comme un marronnier. Ultime épisode en date : en ce vendredi 18 janvier, la ministre de l’Economie en personne annonce que la croissance en 2008 ne sera pas, en France, de 2.25 % mais de 2%. Et les medias de relayer avec zèle l’information. Mais quelle information au juste ? Qu’a-t-on voulu souligner, signifier, stigmatiser ? La possibilité d’une pente (2.25 hier, 2 aujourd’hui, 1.75 demain ?) ? Le caractère décisif du quart de point « perdu » ?

Croissance. Martingale, mot valise, sibyllin, quasi ésotérique à force d’être ressassé, qui rejoint la cohorte de ces termes colonisant les ondes avec l’obstination aveugle d’une tumeur. Notion à la fois subtile, complexe, composite et si manichéenne. Au gré de ses qualificatifs, horizon de la finance carnassière comme de l’écologie végétalienne. L’expression « croissance durable » ayant été avancée par certains, avec un succès confidentiel jusqu’à présent. Croissance. Mot curieusement absent de la bouche des Français eux-mêmes. On lui préfère « pouvoir d’achat », « salaire » ou, appliqué à l’écologie, « développement » ou « progrès ».

Ainsi la croissance, tantôt enviée, tantôt abhorrée, n’a pas bonne presse. Mise à distance d’un phénomène froid, abstrait, technique et institutionnel ? Pas seulement : la croissance, ce n’est pas seulement la richesse produite. C’est la performance. Ambition peu aguichante à l’ère de l’invidualisme cotonneux. C’est aussi et surtout le rapport à la collectivité et au collectif. L’indicateur anti-individuel par excellence. Celui qui fait foi quant à l’investissement collectif d’une population, sur sa capacité et sa volonté à mettre en commun ses énergies. Ou à s’investir individuellement pour la communauté. A faire œuvre politique en somme.

Las, dans la société démocratique libérale, le concept de croissance a fait long feu. Il se heurte au développement individuel, lequel exige le bien-être mais se love dans le consumérisme, non pas patriotique mais égotique. Et si, plutôt que de chercher à amender la mesure de la croissance, à l’image de la sollicitation des économistes Amartya Sen et Joseph Stiglitz par le président de la République, on réfléchissait à un baromètre de l’individualisme ?

jeudi 17 janvier 2008

De Charybde en Scylla

Il y a un an… Janvier 2007. La publicité, l’autre vecteur de tsunamis (bénins a priori) : des écrans TV inondés par les spots publicitaires de la grande distribution, brusquement libérés après la fissure du dernier barrage législatif. Une logorrhée. Une libération. Mais pas un soulagement. Si j’avais été directeur marketing dans le secteur en question, j’aurais décidé de ne pas me précipiter. D’éviter les discours fleuves. Et d’opter pour un format différent, pas nécessairement long. Attendre quelques jours, une poignée de semaines, dans une volonté de différenciation tactique mais surtout stratégique. Mais sans doute est-ce pour cette raison que je ne suis pas directeur marketing.

Une déferlante donc. En tant qu’observateur non dilettante, je suis circonspect. En tant que citoyen lambda, je suis submergé. Les messages en question prônent à l’envi une consommation plus responsable, plus qualitative, plus saine, plus raisonnée, plus efficace. Seuls hiatus, et pas des moindres : au temps de la communication holistique, du 360°, quelle voie la grande distribution emprunte-elle en priorité ? Le canal principal de la télévision. Dans un océan de messages quotidiens, les distributeurs tentent d’émerger en nous rappelant que oui, l’on peut mieux consommer. A l’ère de l’hyper segmentation (tendance létale du marketing), les enseignes se bousculent au portillon, au même titre que n’importe quel industriel ou prestataire de services, et rivalisent de promesses. A l’époque des cartes de fidélité individuelles, du one-to-one, de la trinité une et différenciée client-acheteur-consommateur, les distributeurs s’adressent à nous sans distinction.

Exercice d’équilibriste : utiliser les méthodes que l’on dénonce. Ou comment brouiller l’information pour mieux vanter son rôle de vigie a posteriori. Après tout, la (grande) distribution ne se portait pas si mal avant le 31 décembre 2006 à minuit. Après avoir vidé les mega brands d’une partie de leur substance et rogné la prime de ces marques parasites (au double sens d’inutiles et de confusantes pour l’esprit du consommateur), les distributeurs reprennent les recettes naguère dénoncées : ils sophistiquent leur offre et s’attellent à construire de la valeur sur leurs propres marques – de distributeur et d’enseigne, en portant cette fois aux nues la marque jalon. (…repère, comme l’avait pressenti il y a plus de dix ans un certain Michel-Edouard)

La maîtrise et l’exploitation optimale de l’hyper information constituent décidément l’une des grandes batailles de l’époque.

mardi 15 janvier 2008

Death Marketing

IDead (IMort en français). Nouveau concept, et campagne de communication inédite pour… la police. Plus exactement celle de Nouvelle-Galles-du-Sud, province du sud-est australien abritant Sydney. Un concept dont, fait rarissime, les créateurs espèrent… la désuétude rapide. Objectif de la campagne : alerter le jeune public sur la dangerosité de circuler à pied, les oreilles et le cerveau accaparés par les arpèges et les basses de son baladeur. Le cocooning expérientiel a ses limites, au premier rang desquelles une tonne d’acier lancé à pleine vapeur sur la route. Autre singularité : un co-branding (au minimum tacite) entre une marque internationale et une institution régalienne.
La marque à la pomme a nécessairement eu vent, donné son aval voire collaboré à cette initiative. Avec, il faut le reconnaître, un cynisme d’airain. En effet, point de traces ni de taches morbides, et peu d’indices matériels permettant de recontextualiser les scènes en question. Seule une frêle bande blanche induit que nous nous situons en pleine chaussée. Point de stigmates de violence non plus, ni d’effluves d’impact, de traumatisme ou de déchirement. Du reste, le mini juke box demeure à l’image intègre et immaculé, d’une pureté virginale, presque séraphique. Aussi le champ demeure-t-il ouvert aux spéculations : quelle a été la cause véritable de la mort ? Une traversée imprudente et aveuglée ?… Ou bien, plus prosaïquement, une consommation excessive du produit ? Incroyable façon de boucler la boucle : la mort, expérience ultime d’un produit lui-même élevé au range d’expérience ? Si cela est pensé, c’est du grand art. Dans le cas contraire, le « Death marketing » est mort-né. Ce serait un comble.

lundi 14 janvier 2008

Dans la jungle

Emotion. Mot scandé, incantatoire. L’ivresse de l’instant. De la communion fusionnelle. Clara Rojas, en ce dimanche 13 janvier 2008, retrouve son fils. Et les medias français, à l’unisson, voient leurs écrans et leurs ondes embués par cet épilogue que ne renierait pas une major hollywoodienne. Point d’orgue d’un film au long cours, paradoxalement zappé naguère (qui était familier du nom Clara Rojas avant décembre 2007 ?) et dont les moments forts de ces dernières semaines ont préempté la une de tous les grands médias TV, radio et virtuels, des jours durant. Avec en guest star Hugo Chavez, encensé avec la même fébrilité que sont démystifiés ponctuellement les télévangélistes brésiliens. Deux genres d’icônes dont on sait gré les medias d’user et abuser afin d’éclairer la complexité latino-américaine.

Pourquoi tant de passion pour une femme colombienne, dont la respectabilité n’a d’égal que la distance qui nous sépare d’elle, à tous égards ? Parce ce que son destin est lié – directement et par procuration – à celui d’Ingrid Betancourt. L’émotion de, avec et autour de Mme Rojas est, par anticipation, de la même eau que celle que les Français ressentiront lors de la libération de Mme Betancourt.

Emotion certes, mais constructive, rappellent les hérauts de l’éthique journalistique : le focus sur Mme Rojas permet d’éclairer (de vivre ?) la situation prévalant en Colombie. Une vertu de la compassion médiatique. Au fond le journalisme serait un art, il politiserait l’émotion. Mieux : Clara Rojas est média à elle toute seule : c’est-à-dire une médiation entre le réel et les spectateurs-auditeurs-lecteurs. C’est un support, un réceptacle. Une eucharistie incarnée. Bref, une expérience. Reste à déterminer de qui la lucidité de nos concitoyens est l’otage à l'ombre de la canopée médiatique.

jeudi 10 janvier 2008

Omelette démocratique

Lorsque vous préparez une liste de courses, vous vous laissez une marge de manœuvre. Vous avez planifié une omelette aux lardons, mais, une fois dans votre grande surface favorite, la vue de splendides cèpes délicats et joufflus vous aura fait changer d’avis : va pour l’omelette aux cèpes. Le choix de la salade sera à l’avenant, la mâche fantasmée faisant place, bien malgré elle, à une bonne roquette des familles, au fond tellement plus fine et racée.

Et lorsque vous allez à l’isoloir ? Les ressorts psychologiques voire physiologiques sont peut être comparables, on se permettra néanmoins d’avancer que le degré d’implication diffère entre le choix d’un ingrédient culinaire et celui d’une personne, elle-même incarnant des idées (ou même une idée unique voire basique mais toujours, quoiqu’on en dise, une certaine idée de…). D’autant que le premier choix évoqué serait l’affaire d’un instant, au contraire du second. A voir.

Susan Herbst ne dit pas autre chose en se félicitant qu’il y ait "plus de mouvement et plus de fluidité chez les gens et dans leur opinion. C'est une bonne chose, cela veut dire que les gens réfléchissent." (source AFP) Mme Herbst est spécialiste des sondages au respectable Georgia Institute of Technology. Elle analyse la victoire de Hillary Clinton dans le New Hampshire qui a pris à revers la totalité des études d’opinion. Toute ressemblance avec des personnes ou faits existants ou ayant existé est purement fortuite. La béatitude de Mme Herbst ne peut être interprétée que sous forme d’une alternative : fourvoiement ou cynisme.

Le vote, expérience ultime de consommation ? Investissement expérientiel, avec ce que cela présuppose comme poids de l’instant et du contexte. Au fond, le phénomène n’est que la vision inversée, mais reflet d’une réalité unique, de la politisation de la consommation. La consommation, affirme brillamment le philosophe Gilles Lipovetsky, est le dernier lieu d’investissement politique. La politikè au sens d’organisation de la multitude et la ville ayant été délaissée. Après tout, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs.

mardi 8 janvier 2008

Infans nolens volens

Le renversement de la relation parents-enfants est une des antiennes favorites des Cassandre dénonçant la perte des valeurs. La dernière campagne TV de MacDonald’s joue à plein sur la figure de l’enfant roi : elle montre des chérubins suzerains tancer leurs parents refusant de se coucher et préférant batailler avec les gadgets brandés glanés au fast food quelques heures (ou jours) plus tôt.

Dans la foulée, choc dans le métro. Deux bambins hypertrophiés et hilares – une fillette et un garçonnet - traînent par la main respectivement leur père et leur mère réduits à l’état lilliputien. La Cité des Sciences annonce par affichage une série d’expositions et d’activités dédiées aux enfants et aux pré-ados, la Cité des enfants. Un ersatz de « Chérie j’ai agrandi le bébé » ? On pencherait tout aussi bien pour : « Chérie, le bébé m’a rétréci ! »

Deux idées créatives concomitantes de parents soumis et d’enfants pris en excès de « parentalisme », cela ne tient pas du hasard : l’ère est à la tyrannie de l’enfant, et son revers est l’encensement. Quelle est donc la source de cette liturgie ? L’enfant vestale de l’espoir ou du présent jouisseur ? Valorisation du futur ou miroir narcissique ?
Pour les parents, ivresse de la projection ou de la régression ? Religiosité ou paganisme ? Sacrifice… ou bien renoncement ?

Le caractère de plus en plus imposant de ces chères silhouettes blondes ne laisse pas d’inquiéter.

lundi 7 janvier 2008

Stupeur et Etonnements

Etonnement (1)
Elie Cohen sur France Info, ce lundi matin. Cet économiste émérite et affable, quasi incontournable (entendre par là : susceptible d’être invité le même jour chez Yves Calvi et chez Michel Denisot) confesse partager l’étonnement de ses confrères face au paradoxe suivant : les Français tirent la (modeste) croissance nationale en consommant et en désépargnant, et ils affichent malgré tout leur pessimisme, notamment chez les jeunes générations.
Vu à travers le prisme du hic et nunc, le consumérisme désenchanté n’a rien d’étonnant : l’avenir n’est plus craint, il est zappé. Carpe Diem. Ite Missa est. Ou plus exactement : l’avenir est un présent perpétuel.
Miser sur le pessimisme pour oblitérer l’avenir, éroder le désir de projection, et alimenter ainsi la croissance : Fillon disciple de Machiavel ? Ou plus sûrement : « un planneur stratégique, un économiste et un politique sont dans un bateau… »

Etonnement (2)
Choses vues et entendues dimanche dernier, la goutte au nez et la zapette fiévreuse: MC Solaar, lové dans le canapé de Vivement Dimanche, le ton grave entre deux tranches d’extraits inédits d’Astérix aux JO, s’étonne de la célérité avec laquelle le temps file… Benoît Poelvoorde, sommé de renchérir par Michel Mais-qu'est-ce-qu'on-va-faire-de-toi (ironie boomerang d’un titre dont l’obsolescence peut faire débat), hésite, se contorsionne et annone.
Solaar, Poelvoorde : trente ans de carrière artistique à eux deux (au bas mot). Et le constat abrupt de la fuite du temps, un dimanche d’hiver.
A quoi servent les artistes ?

vendredi 4 janvier 2008

Qui d'autre?

En ce début 2008, certains retardataires frustrés pourront enfin prendre possession de leur console Wii. Pénurie orchestrée ou subie, l’essentiel est ailleurs : Nintendo, le fabricant de cartes à jouer devenu une référence des jeux vidéos a trouvé une seconde jeunesse alors que la firme japonaise ronronnait quelque peu à l’orée du 21e siècle. Remède : DS et son écran tactile et la Wii (à la fois pronom fusionnel, signe ésotérique et éructation orgasmique) qui pousse l’expérientiel à fond les manettes.

What else ? D’autres annonceurs (un grand assureur notamment) ont beau clamé « qui d’autre ? », cette expression concentré d’identité et d’exclusivité (les deux notions sont centrales) est et restera pour un long moment chevillée au corps de Nespresso : le café n’est plus un instant de partage, c’est un moment individuel et égotiste. Le lieu du café n’est plus la maison cocooning, c’est la froideur d’un salon VIP. Le paquet de café dodu ne vient plus à vous, c’est vous qui allez chercher vos dosettes calibrées (le canal de vente Internet, quoique important pour la marque, est d’ailleurs le grand absent de la campagne de pub actuelle)

Dans ces deux options stratégiques, les études qualitatives ont sans doute été (en partie) décisives : il faut s’en féliciter. Et féliciter les parties prenantes. L’ego (bénéficier du traitement d’un VIP) et le hic et nunc (l’expérience intense et immédiate). Deux ivresses, et deux axes pour une matrice qui se décline désormais dans à peu près tous les secteurs. Des exemples ? Dans les medias : l'egocasting (ou egodiffusion) et sa version décalée "catch up TV". Dans la distribution : les boutiques éphémères. Dans l'automobile : les ludospaces, vague sur laquelle, d'après La Tribune, les grands constructeurs français n'ont pas fini de surfer.

2008, nouvelle année faste pour le coaching ?

Parmi les tendances lourdes (merveilleux abus de langage : qu’est-ce qu’une tendance légère ?) de 2008, gageons que le coaching restera une valeur refuge. Coach pour les parents, coach pour les enfants. Coach pour la maison, coach pour le travail… Coach pour les célibataires, pour les couples. Coach pour le look, pour la décoration intérieure, pour l’alimentation, la santé. Coach pour la beauté extérieure et pour la beauté intérieure. Coach pour les winners, coach pour les loosers. Jamais l’individu occidental (a fortiori hexagonal) n’a été aussi libre, et jamais il n’a eu autant recours à l’assistanat quotidien. Et ce alors même que certaines professions – enseignants, banquiers, médecins - ont déjà renforcé leur rôle dans ce domaine ces derniers temps : le prof et le généraliste se muent en assistants sociaux, le banquier devient le confident…

Oui, le monde évolue de plus en plus vite. Oui, il est de plus en plus complexe, via les innombrables flux d’informations à gérer et les modèles (d’attitude, de croyances, de valeurs, de comportement) à réinventer. Dans ce contexte, une bonne part de la population est décontenancée voire, pour certains, désemparée : les industriels l’ont bien compris qui vous aident à mieux vivre en vous indiquant le nombre exact de calories contenu dans leurs plats cuisinés ou leur portion de frites, les distributeurs, quant à eux, vous aident en rayon à choisir les produits adaptés à vos besoins et usages. Même en sport, en football et en tennis par exemple, la figure du coach a damé le pion à celle d’entraîneur, dans le vocabulaire comme dans les faits. Et il ne s’agit pas d’un simple glissement angliciste. La part psychologique a bel et bien pris le pas sur les volets tactique, stratégique et physique : le coach gère en priorité les egos (nous y voilà).

Résumons : services à la personne, oui : ils aident à vivre au quotidien. Psychologues et autres praticiens professionnels de santé, oui : ils aident à exister. Coaches, non : c’est une mauvaise réponse – l’assistanat – à une bonne question – la gestion de la surenchère informationnelle.