lundi 24 mars 2008

Les promesses du lien

Retour sur expérience(s). La Wii de Nintendo continue de décliner allègrement son programme de la « vie réelle » : après le jeune couple accro au tennis, la bande d’adolescents, le couple de séniors, voici de nouvelles saynètes publicitaires : le grand père et son petit-fils - motif longtemps préempté par les bonbons au caramel d’exception - et la bande de quadras qui joue le destin d’une soirée sur une partie de bowling. Les spots proposent une mise en situation systématique et on ne peut plus prosaïque : un séjour, un canapé, une poignée de protagonistes. Pourtant l’évidence n’est que de façade, comme l’illustre un détail tout aussi récurrent : la caméra filme majoritairement non pas de dos mais de face. Les joueurs sont le vrai spectacle.

Mais quel spectacle au juste ? Celui du relationnel en action. La Wii a beau célébrer le sans fil, elle crée du lien. Elle est bien plus qu’un produit, elle est plus qu’une marque : elle est un média. Avec elle, on n’acquiert pas une console et des jeux, on n’achète plus un divertissement ludique : on achète du lien, à l’image de ce grand-père volant au secours de son descendant emprunté face au fairway virtuel. On délaisse la transaction pour la relation. Le jeu vidéo se réaffirme en tant qu’expérience partagée, il s’inscrit dans un contexte expérientiel et sublime ce dernier.

Alors que la concurrence, Xbox et PS3 en tête, rivalisent sur le terrain du réalisme, en se focalisant toujours plus finement sur le mimétisme avec le réel, le parti pris de Nintendo est de mettre en lumière moins l’offre que le contexte. L’objectif majeur n’est pas d’avoir l’illusion de faire du bowling, mais d’éprouver les sentiments que l’on éprouve lors d’une soirée de bowling entre amis. Pas d’être un professionnel - promesse de base des simulations virtuelles - mais au contraire d’assumer son statut de dilettante. Du coup, la Wii fait plus que se différencier : elle change de champ concurrentiel. Les marques qui savent et sauront se placer sur le terrain du lien vont prendre un avantage décisif. Car là se joueront certaines batailles dans les années à venir. Pour se dé-marquer et se faire re-marquer.

jeudi 20 mars 2008

Tristes tropiques

Il y eut les voyages collectifs et organisés. Puis les séjours à la carte, individuels et spontanés. De plus en plus lointains au gré des avancées technologiques et logistiques. De plus en plus fréquents à l’image de la place des loisirs dans nos existences. Mus par le désir d’expérience et de renouvellement permanent. « Vivre plus », comme nous y invite un voyagiste. Comme si la clé d’une vie réussie était un tour de monde sous tous les angles, pour surtout ne rien rater. Dans vitesse, il y a vie. Tout embrasser, sans attendre. Et la notion d’exotisme d’être sérieusement remise en cause : désormais, aucun lieu n’est plus inaccessible, ni n’exige une longue planification préalable. On rallie Bali presque comme La Baule. Presque plus de distance, presque non plus de distanciation.

Les medias eux-mêmes rognent l’exotisme en nous abreuvant de reportages aux images si parfaites que le réel frôle parfois le déceptif. On part pour vérifier, plus pour découvrir. Moins pour se confronter que pour se conforter. Non plus pour se perdre mais pour se retrouver. Avec Google Earth, un nouveau coup de butoir fut porté à l’Ailleurs : derrière l’écran, quarante siècles vous contemplent. Le désert chilien comme la Grande Muraille à vol… de souris.

Après Google Earth, voici venir d’autres paysages, d’autres reliefs, d’autres climats et couleurs : le site Internet Visible body offre une cartographie sous toutes les coutures… du corps humain. Et permet une exploration exhaustive et en 3D de ce dernier, de l’épiderme aux entrailles. Si on tenait là l’exotisme et le raffinement suprêmes ? D’abord via une auto-introspection, une fascination égotique et narcissique enfin menée à son terme, enfin incarnée (au propre comme au figuré). L’exotisme appliqué à soi-même. Ensuite et surtout parce que le voyage intérieur fait résonner les pérégrinations extérieures : le corps, comme le monde, ces inconnus familiers. Si proches que nous croyons les connaître. Avec Visible Body, nous sommes invités à (ré)interroger l’évidence. Une perspective à méditer pour le touriste post moderne : derrière le vernis d’expériences fugaces, sériées et multipliées, on cultive une expérience, un sentiment du monde. Mais la connaissance, de soi et de l’Ailleurs, est aussi affaire de profondeur.

jeudi 13 mars 2008

Garde à vous

« C’est bien parce que c’est vous ». L’enseigne Casino susurre et rassure ses clients et ses prospects, via une formule au message à n’en point douter aguichant : c’est bien parce c’est fait pour vous. Allusion à tiroir et à double sens : une offre conçue en pensant à vous, et parfaitement adaptée à vous. Mieux : c’est bien grâce à vous. L’accroche se veut flatteuse et surtout efficace car exclusive. Elle touche au cœur, le tout à l’égo : c’est vraiment parce que c’est vous… Comme pour tout VIP, l’on fait une exception.

L’interpellation directe dans les signatures est une antienne bien antérieure à la vague égotiste. Pour autant, le procédé semble connaître une vitalité nouvelle ces derniers temps. Tantôt cela dénote un recentrage de fond – la traduction d’une vision « consumer insight », tantôt la mise en avant paraît plus mécanique, quasi pavlovienne. Par défaut. Dans tous les cas, réaborder l’évidence ne nuit pas : « Notre plus grande richesse, c’est vous ». « Notre raisonner d’innover, c’est vous. » « Vous le valez bien »… Dans l’industrie cosmétique, énergétique ou les services, le vouvoiement s’impose comme la politesse de l’espoir. Comme si elles avaient fonctionné en vase clos durant des années, certaines entreprises – et non des moindres – redécouvrent l’importance du consommateur. Ce dernier est (re)placé au centre et, partant, mis en exergue dans la signature, elle-même accolée à la marque.

La formule choisie par Casino se révèle particulièrement ambitieuse, en induisant : c’est bien parce que ça vous correspond, que cela colle à vos attentes. Venant de la part d’un distributeur, la proposition de service est très large. Mais est-ce une ambition réaliste, et surtout pertinente ? C’est – forcément – bien parce c’est vous : en postulant une soi-disant perfection égotiste du consommateur, n’est-ce pas manière de nier sa complexité, ses doutes, ses contradictions, bref précisément son imperfection ? A vouloir flatter l'égo sans nuance, on tutoie les étoiles, mais on joue aussi sur la corde raide.

vendredi 7 mars 2008

Urgences

Le phénomène mérite davantage qu’un post scriptum : après l’affaire Note2be, évoquée ici-même, voilà que l’on annonce l’ouverture le 15 mars 2008 de Note2bib, la version médicale du site d’évaluation publique et nominative des enseignants. Mêmes mobiles, mêmes effets: « Les patients, relate le site en construction, attendent notamment une qualité d’écoute, des explications précises et simplement formulées, une certaine disponibilité… ce qui est loin d’être toujours le cas ». Mêmes critères, pour partie, que ceux mis en exergue à l’adresse des enseignants : écoute, disponibilité, pédagogie. L’efficacité stricto sensu n’étant présente qu’en filigrane.

Le professeur, on l’a vu, est sommé de se muer en fournisseur de liberté. La mission du praticien médical n’est plus seulement de soigner, de guérir mais de donner les clés du bien-être. Le médecin doit partager son savoir, ne plus le dispenser de manière verticale et magistrale. Le statut d’expert est ébranlé, tout devient objet de co-construction, de partenariat. L’information d’actualité comme l’information médicale. Désormais la compétence est dans le lien, non plus dans la distance ; l’autorité se fait inclusive et non plus exclusive. Le médecin devient, au fond, un prestataire d'autonomie - et donc de pouvoir - parmi d’autres.

De son côté, le patient se mue plus que jamais en client, en consommateur, il attend plus de service. Il exige qu’on lui dise pourquoi il est malade. La prochaine étape : un dialogue contradictoire avec son médecin ? La question de l’expertise et de son statut est vertigineuse tant ses enjeux sont lourds et la poussée individualiste forte. Cette dernière innerve le corps social en refaçonnant un nombre croissant de professions. Quelle corporation aura l’heur de passer à son tour sous ses fourches caudines ?